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Comment le covid-19 est instrumentalisé pour nous faire accepter de nouvelles régressions

COVID-19, l’ami des dominants : un texte écrit par l’équipe de L’ardeur, association d’éducation populaire politique

Pour ce gouvernement anti-populaire, engagé dans une politique de destruction de la protection sociale et de répression policière des colères, des mobilisations et des insurrections qui en découlent, le COVID-19 permet de réaliser plusieurs tests en grandeur nature :

– Test de contrôle de la population (répression, prison, hélicoptères, drones, communications).

– Test d’obéissance de la police dans ce contrôle des populations.

– Test de privatisation-dislocation de l’éducation nationale transférée en e-learning.

– Test d’avancement de la vidéo-médecine à distance.

– Test de soumission des médias, de la population et des gauches (union nationale oblige).

– Test de démolition avancée du droit du travail.

1 – Le contexte

Depuis les années 1980, l’effacement de l’hypothèse communiste (1) laisse le capitalisme en roue libre et l’humanité livrée aux inégalités monstrueuses qui l’accompagnent. Or les profits ne se réalisent plus sur la fabrication et la vente de marchandises qui sont en surproduction (les voitures de 2018 ne sont toujours pas écoulées) mais sur la financiarisation-casino de l’économie et les réductions de dépenses publiques dans le cadre de politiques d’austérité. Si le capitalisme européen s’est assuré tout un temps de l’ordre social en échange de politiques de protection sociale, il s’aligne (dès 1983 en France) sur le capitalisme américain et s’engage dans la voie d’une privatisation-marchandisation de la société et d’une destruction des services publics. Ces dernières se réalisent dès Maastricht, puis dans l’imposition de la « Constitution » de l’Union Européenne et de sa monnaie unique interdisant aux États d’agir sur la protection sociale par des dépenses publiques, lesquelles sont désormais soumises à l’impératif de non-inflation, d’interdiction des augmentations de salaires pour maintenir le taux de profit des dominants, propriétaires d’entreprises ou traders. Mais réduire la protection sociale, réduire et supprimer les allocations chômage, démanteler les soins de santé, démolir la recherche, supprimer des postes à l’éducation nationale, vendre les barrages et les aéroports, baisser puis écraser les retraites… tout cela génère des mouvements de population insurrectionnels et incontrôlables (les gilets jaunes en sont un exemple) qui supposent que l’État se prépare à la guerre sociale en armant son dispositif policier vers le contrôle des mouvements insurrectionnels. Après les LBD, voici les drones et le suivi des smartphones. Dans son dernier ouvrage « La lutte des classes au 21e siècle » (2), Emmanuel Todd évoque la dérive fascistoïde du gouvernement Macron. Nous y sommes !

L’union nationale : vous avez aimé « Je suis Charlie » ? Vous allez adorer COVID-19 !

« Nous sommes en guerre », a déclamé sept fois Macron. Invisible, diffus, insaisissable l’ennemi combattu ? Qu’importe ! Car désigner un ennemi, a fortiori invisible, c’est faire taire tous les désaccords, au nom de l’union sacrée ! Si l’éducation populaire consiste à comprendre les systèmes à l’œuvre dans un événement, et à déjouer les effets de propagande en traquant les biais de pensée, il convient de s’alerter collectivement sur cet appel à l’union nationale : « Plus de place pour la division », ressassent les chroniqueurs. Mais rien n’est plus étranger à l’éducation populaire qu’une union sacrée renonçant à toute critique derrière un chef autoritaire ! Refuser cette injonction au consensus et à l’enrouement du débat rend alors nécessaire d’apporter notre voix à l’analyse de la situation…

La seule guerre à laquelle nous assistons est celle que le capitalisme mène sur nos existences. Dans cette crise sanitaire, que peut-on attendre d’un pouvoir qui a si férocement et si continûment attaqué la protection sociale de sa population, démoli l’hôpital, les retraites, le chômage, la formation continue, qui a rivalisé de suppressions de fonctionnaires avec les autres candidats à la présidentielle (moi 200 000 ! Non… moi 500 000 ! ) ? Rien !

Macron n’existe pas. La démolition de l’hôpital public a commencé avec Mitterrand et Bérégovoy dès le départ des ministres communistes en 1983, et s’est poursuivie avec les autres présidents. Macron lui-même n’a été fabriqué que pour prendre la suite des serviteurs du capital qui l’ont précédé à ce poste, et choisi pour sa capacité de nuisance… Car, privé de toute marge de manœuvre économique ou monétaire dans le cadre de l’UE, il n’a aucun autre pouvoir que celui de nous nuire. En s’affichant sans honte dans un hôpital saturé pour combattre les effets d’une situation dont il a fabriqué les causes, lui qui a supprimé plus de 4 000 lits d’hôpitaux sur la seule année 2018 et a charcuté plusieurs centaines de millions d’euros de moyens alloués aux personnels médicaux… Macron ne saurait nous rendre dupes : il n’est pas, et ne sera jamais, notre sauveur. Fidèle à son programme électoral exigé par le Medef, il se saisira de cette crise sanitaire pour renforcer la dévastatrice emprise du capitalisme sur nos existences. À l’heure où beaucoup se remettent à lire La stratégie du choc de Naomi Klein (3) et font l’expérience en grandeur nature d’un capitalisme qui déploie sa nuisance par crises successives, on peut s’attendre – « crise » et « union nationale » obligent – à une démolition accélérée du droit du travail, à une politique accrue d’austérité et de réduction des dépenses publiques.

Interrogé sur France Inter sur le fait de savoir si cette épidémie le ferait revenir sur sa proposition de 500 000 suppressions de postes de fonctionnaires, Bruno Retailleau (qui bien que dans l’opposition parlementaire n’a d’opposition à la politique du gouvernement que l’apparence) affirme sans sourciller qu’il ne sera pas question de ralentir les réformes ! Ces gens-là ne tireront aucune leçon. Au contraire. Cette crise sera pour eux l’opportunité d’une accélération des destructions, notamment celle des services publics. Noam Chomsky nous a prévenu·e·s : « Comment détruire un service public ? Commencez par baisser son financement. Il ne fonctionnera plus. Les gens s’énerveront, ils voudront autre chose. C’est la technique de base pour privatiser un service public »… et seule une insurrection ou une grève générale les arrêtera.

Car avec le COVID-19, c’est la guerre des classes qui va se durcir par un enchaînement trop prévisible pour ne pas être annoncé : crise sanitaire, crise économique, crise financière et, en bout de course, crise sociale ! Quand le COVID-19 aura mis sur le carreau un ou deux millions de chômeur·se·s supplémentaires, on pourra compter sur ce gouvernement, qui a déjà fait la démonstration de son amour de la protection sociale, pour nous concocter quelques exonérations de cotisations, dégrèvements, allègements fiscaux supplémentaires pour les patrons, bonus records pour les traders les plus malins, dont le job n’est pas de financer l’économie mais de jouer à la baisse ou à la hausse les fluctuations de l’économie… Pour eux, cette crise est un cadeau, qui comme, toutes les crises financières avant elle, ne sera rien d’autre qu’une banale crise cyclique de la surproduction qui permet au capital de se concentrer encore un peu plus en liquidant les maillons faibles des petites entreprises et en écrabouillant les travailleurs sous l’œil docile des lanceurs de LBD et des médias. Le capitalisme est le seul mode de production dans lequel les crises prennent la forme d’une surproduction (https://wikirouge.net/Crise_de_surproduction).

2 – Le test sécuritaire

16 mars (jour de l’annonce du confinement) : dans le département des Côtes d’Armor, 1 cas détecté (sur une population de 600 000 habitants). Le préfet fait survoler les plages par des hélicoptères de la gendarmerie.

Si des mesures de prudence et confinement dans le cas d’une épidémie sont un choix compréhensible, encore peut-on s’interroger sur les différentes modalités possibles d’un tel confinement : total ou régional, par tranche d’âge, avec ou sans possibilité de s’aérer, etc. À l’exception d’un accident nucléaire majeur, ou d’un virus que l’on contracterait par simple respiration dans l’air, aucune crise sanitaire ne peut justifier l’interdiction de promenades solitaires en forêt, sur des plages, dans les rues… Aucune crise sanitaire ne peut justifier que l’on désigne les citoyen·ne·s comme des coupables en puissance (lorsqu’Édouard Philippe annonce que le gouvernement prend des mesures de confinement drastiques car les citoyens ne sont pas suffisamment dociles, il transforme tout un chacun en délinquant). Aucune crise sanitaire ne peut justifier une politique hyper répressive incluant le survol d’une plage par des hélicoptères, l’interdiction de sortir plus de 20 minutes de chez soi, de s’éloigner de plus de 1km. Aucune crise sanitaire ne peut justifier que l’on ferme les parcs et les jardins publics. Aucune crise sanitaire ne peut justifier que l’on punisse des citoyen·ne·s d’amendes lourdes (jusqu’à 3 500 €) et de prison (six mois) en cas de promenades solitaires. N’importe quel gouvernement soucieux du bien-être de la protection de sa population en cas de crise sanitaire devrait au contraire prendre acte des difficultés personnelles, familiales, psychologiques, sociales considérables qu’entraîne un confinement, et le rendre supportable en invitant largement la population à s’aérer et à sortir se promener, à condition de respecter les mêmes règles de gestes barrières qui sont demandées pour le travail qui, lui, non seulement n’est pas solitaire, non seulement est autorisé, mais est rendu obligatoire sur rappel du Medef.

Au risque du sentiment d’une humiliation collective, aucune population ne peut comprendre qu’elle soit obligée d’utiliser les transports en commun pour aller travailler, à condition de respecter une distance d’un mètre, mais qu’elle risque la prison si elle va se promener sur une plage, en ne nuisant à personne, en ne mettant personne en danger dans la mesure où elle respecte les mêmes règles que celles imposées dans l’utilisation des transports en commun.

Avec Emmanuel Todd, nous rappelons que « faute d’avoir prise sur l’Histoire, les gouvernants français sont passés « en mode aztèque ». Ils se vengent de leur impuissance au niveau international en martyrisant leurs concitoyens… ». Et ils peuvent compter pour cela sur le zèle d’une police inféodée qui s’empressera de matraquer les promeneurs isolés à coups d’amendes à 135 euros pour leur apprendre à obéir. Nous savons depuis un an de gilets jaunes que nous ne pouvons plus attendre aucune protection de la police. Que, comme dans toutes les périodes de crise, comme en 1940, elle choisit de servir le gouvernement, et non plus le droit. Et cela risque bien de se renforcer… Comme l’écrit Raphaël Kempf, avocat pénaliste, « il faut dénoncer l’état d’urgence sanitaire pour ce qu’il est : une loi scélérate » ! Adopté à marche forcée pour une période soi-disant circonscrite, cet état d’urgence vise des objectifs à plus long terme : celui de violer les libertés élémentaires de tou·te·s, celui de donner à la police des pouvoirs illimités, celui de venir enterrer définitivement l’État de droit.

La constitution de la 5e République avait bricolé un régime présidentiel sur mesure pour un général dans une situation de guerre en Algérie. Elle transformait le Parlement en une chambre d’enregistrement, à l’image des 308 pantins recrutés à la hâte sur entretien au printemps 2017 pour servir de paillasson au Medef. Entre les mains des Hollande, Sarkozy, Chirac ou Macron, cette 5e République est entre les mains de voyous caractériels et doit être abandonnée. Macron n’hésitera pas à se réfugier derrière le COVID-19 pour utiliser les pleins pouvoirs de l’article 16 et faire interdire la presse, les réseaux sociaux, et ce qu’il appelle déjà les fake news et les incitations à la haine. Sa position est une position de haine de classe, et son gouvernement suinte la haine de classe. L’intérêt des ateliers constituants qui se multiplient partout en France est de nous préparer à écrire nous-mêmes la constitution dont nous aurons besoin quand nous aurons chassé ce pouvoir.

Cette guerre de classes, cette guerre au peuple, cette guerre aux pauvres, est lisible au niveau spatial, géographique. Dès les premiers jours, les médias ont évoqué le manque de « civisme » des habitant·e·s des quartiers populaires, épinglé.e.s pour leur inconscience face à la propagation et leur refus des contrôles : ainsi, le 19 mars, BFMTV dénonce des « violences urbaines malgré le confinement », des « rébellions et crachats sur des policiers » et même « des regroupements sur les toits d’immeuble » pour y faire des barbecues (jusqu’à quelle extrémité peuvent aller ces petits voyous de banlieue !). Depuis, des témoignages attestent d’interpellations policières violentes dans ces mêmes quartiers. Comme celle de Sofiane, 21 ans, habitant des Ulis (Essonne), qui, le 24 mars, a eu le grand tort de vouloir sortir de chez lui pour aller travailler (il est livreur pour Amazon !) : il a été rossé par les agents de la BAC pour avoir essayé d’échapper à leur contrôle (il n’avait pas son attestation de déplacement dérogatoire sur lui). Imagine-t-on les mêmes scènes à Neuilly ou à Passy ? Et, comme ce fut le cas pour les gilets jaunes, ces violences policières sont encore largement sous-médiatisées.

3 – Des médias au garde-à-vous

En dehors des aspects proprement médicaux de la situation sur lesquels nous ne sommes pas compétent·e·s (nous ne sommes pas microbiologistes et il y a déjà suffisamment de vidéos sur le coronavirus, d’interviews et d’exposés de tous bords, de tous scientifiques pour ne pas inonder davantage le débat), il nous revient en revanche d’interroger les aspects politiques et en soumettre les contradictions à notre intelligence collective. Compter sur nous-mêmes en somme et sur notre intelligence critique que nous nie l’intégralité (ou presque) des médias, docilement regroupés autour du pouvoir exécutif.

Le nombre de morts égrené chaque jour dans nos médias est profondément anxiogène. Le traitement médiatique de la situation nous rend inévitablement vulnérables et les conséquences sur nos citoyennetés sont dramatiques. On ne compte plus les exemples de personnes se faisant apostropher pour être sorties acheter du pain (franchement, a-t-on vraiment besoin de pain frais quotidien en cette période de catastrophe mondiale ?) ou pour avoir rendu visite à un proche. Tout le monde est en train de devenir le flic des autres. L’ambiance est à la dénonciation et aux milices de volontaires qui vont bientôt patrouiller dans les rues. Surtout si ces chiffres ne sont pas expliqués et qu’ils n’ont pour seule fonction que de créer un traumatisme sur fond de méfiance circulaire et nourrie de tous bords.

Expliquer les chiffres, cela voudrait dire les contextualiser, les mettre en perspectives (historiques notamment), les comparer à d’autres… Un exemple : sans vouloir minimiser l’épidémie, il est intéressant de savoir que le nombre de morts faits par le COVID-19 en quatre mois (environ 30 000) est à peu près identique au nombre de personnes qui meurent de faim chaque jour. Ou que le paludisme cause encore plus de 450 000 décès chaque année. Sans qu’on ne s’alarme, dans ces deux cas, des mesures à mettre en place pour éviter pareilles hécatombes. Et que dire de cette information en boucle sur les Ehpad qui se confinent avec le personnel ? Il y a en France 610 000 décès chaque année (une personne toute les 50 secondes) dont 25 % en Ehpad. Les décès au sein des Ehpad représentent donc plus de 150 000 morts par an. Nous parler des décès en Ehpad, c’est nous les présenter comme un problème injuste et terrifiant. On se demande alors ce qu’est la représentation d’un Ehpad pour un chroniqueur de TF1 : une colonie de vacances ? Une thalassothérapie ? Ou un de ces mouroirs sans personnel vendu au privé, qu’on intègre de façon définitive mais dans lequel on vous garantit un placement à 11 % si vous achetez une chambre pour la louer aux résidents ? Pour rappel (car c’est aussi cela mettre les chiffres en perspectives), la moyenne d’âge des morts du coronavirus en France est de 81,2 ans ! Et si la mort du musicien Manu Dibango a suscité beaucoup d’émoi, précisons tout de même qu’il avait… 86 ans.

La télé gouvernementale nous montre en boucle l’hôpital de Mulhouse saturé, l’armée qui évacue des malades en avion vers Toulon. Les tentes de médecine de guerre… terrible ! Mais elle se garde bien de questionner les odieux petits soldats des ARS (Agences régionales de santé) qui ont vidé l’hôpital de tous ses moyens, de tous ses personnels, qui ont mis cent directeurs en démission administrative il y a deux mois, et qui font fonctionner le matériel hospitalier en flux tendus .. Traduirons-nous un jour les ARS devant les tribunaux pour mise en danger délibérée à grande échelle de la vie d’autrui ?

Et c’est probablement à la lecture des médias de gauche ou d’extrême gauche qu’on mesure la puissance de cette manipulation à grande échelle. C’est cela une union nationale : faire taire notre capacité critique, adhérer à l’autorité du pouvoir. La chaîne Youtube « Osons causer » qui, jusqu’à peu décryptait les différentes faces des politiques macronistes, est désormais réduite à répercuter les ordres gouvernementaux : « Restez chez vous ! ». Si nous voulons prendre des leçons de civisme, nous n’avons pas besoin d’ « Osons causer », nous avons déjà TF1 pour traiter quelques doux promeneurs de « délinquants des parcs ». Le philosophe Vladimir Jankelevitch écrivait : « Je serai toujours le gardien de tes droits et jamais le flic de tes devoirs ». Si « Osons causer » renonce à sa mission d’éducation populaire, la preuve est apportée que le test en grandeur nature de soumission des médias (y compris ceux censés critiquer l’ordre de la domination) fonctionne !

S’il est si dur pour des médias, quels qu’ils soient, d’échapper à ces logiques manipulatrices, s’ils épousent si facilement la logique du pouvoir, c’est que les conditions de fabrication de l’information les ont déjà rendus structurellement perméables à cette logique.

Et déjà, la place prise par les chaînes d’info en continu, avec sa conséquence : la course à l’information en « temps réel ». Temps réel ? Allons bon… Cela supposerait qu’existe un temps « irréel » ? Ne serait-ce pas justement ce temps qu’on nous vend pour du « réel » qui, en évacuant l’histoire et les processus d’émergence des phénomènes, constitue l’« irréel », un temps qui n’a pas de sens ? Dans ce monde-là, il faut occuper l’antenne et meubler les flux en permanence. Donc trouver du nouveau au fil des jours, au fil des heures… Heureusement, ce qu’il y a de nouveau, presque en permanence, ce sont les chiffres. Alors… bingo sur ces chiffres qui montent, qui viennent s’aligner de manière vertigineuse sur les écrans ! Chaque jour apporte son lot de « nouveau record », de « chiffre jamais atteint »… Puisqu’il s’agit d’une « pandémie » en plein essor, la probabilité que le nombre de nouveaux cas détectés ou de nouveaux décès à l’hôpital en 24 heures soit inférieur à celui de la veille est sans doute inférieure à 1 %, non ? Donc balancer cette info, ce n’est pas vraiment un scoop, on est d’accord ? Il y a d’ailleurs fort à parier que le journaliste qui l’a annoncée en martelant chaque mot sur un ton affolé, quand il rentre chez lui et retrouve son conjoint, il ne lui dit pas : « Tu sais, c’est incroyable : le chiffre a encore progressé ! ». Oui : il est probable que, dans sa vie privée, il reste quelqu’un d’à peu près censé. Mais quand il passe à l’antenne, il devient cet imbécile qui nous fait prendre des vessies pour des lanternes.

C’est que, sur les ondes, il faut sacrifier aux rites de la dramatisation. Pour « vendre » et faire du « buzz », il faut maintenir le « suspense », « feuilletonner » l’information, avec, si possible, un bon « casting » et de « bons clients ». Autant de termes venus des mondes de la fiction et du commerce et qui se sont progressivement imposés dans les rédactions. C’est ainsi que se construit et se reconstruit le thème de la « vague » épidémique qui va déferler (sans qu’on ne sache jamais pourquoi le « pic » est attendu à tel moment). Avec sa conséquence inéluctable, en gros titre à la « une » de l’Est Républicain du 23 mars : « Vers un inévitable durcissement du confinement » (quatre semaines plus tôt, de nombreux médias titraient sur le « recours inévitable au 49.3 » à propos de la réforme des retraites !). Prophétie auto-réalisatrice dans laquelle les médias oublient – ou feignent d’oublier – le rôle qu’ils jouent eux-mêmes.

Autre facteur structurant : la place prise dans les médias par un ballet d’experts où se succèdent hypothèses hâtives et contradictoires (sur les tests, le port de masques, l’efficacité du traitement par la chloroquine…), sans que les faux pronostics ne soient ensuite rectifiés et sans que l’on précise que « médecin » n’est pas un titre suffisant pour se qualifier d’expert en matière de COVID-19. Mais avec cette certitude auto-proclamée : les fake news, c’est l’affaire des réseaux sociaux ; l’information sérieuse et vérifiée, celle des médias main stream.

4 – La gouvernance « scientifique »

Dans un monde où les demandes de financement de la recherche publique sur les coronavirus sont restées lettre morte, où les multinationales de la pharmacie ont plus de pouvoirs que les États et où le vaccin de ce coronavirus engrangera des milliards de profits, qu’est-ce qu’un expert ? Qui sont les « scientifiques » qui « conseillent » un gouvernement entièrement dévoué aux multinationales ? (voir Monsanto-Macron, et les milliers de cancers liés au Roundup). Y aura-t-il des conflits d’intérêts ? Jupiter met ses pas dans ceux d’un « conseil scientifique », créé le 10 mars et invité à infléchir voire à dicter les décisions. Cette délégation de pouvoir à l’expertise « scientifique » présente de multiples dangers. Elle éteint toute contestation au nom de l’intérêt supérieur : elle gomme ce que nous, gesticulant·e·s et formateur·trice·s, militant·e·s de l’éducation populaire, avons appris et ne cessons de marteler : tout point de vue est nécessairement « situé », on ne parle toujours que de « quelque part », et avec une intention. Mais non : les experts, eux, échappent à cette condition humaine puisqu’ils parlent de nulle part et sans jamais aucune intention autre que de nous transmettre la vérité.

C’est dire à quel point cette délégation va faciliter le passage à une société de contrainte…

5 – Le COVID19, révélateur mais aussi accélérateur des inégalités

Isolement des plus vulnérables, exploitation des plus précaires, contamination des plus exposé.e.s, stigmatisation des classes populaires (car ce peuple que l’on doit confiner, c’est bien celui des classes populaires, celles qui pourraient désobéir, ces classes dangereuses…), entassement des plus pauvres dans des logements insalubres pendant que les bourgeois aisés des arrondissements parisiens fuient leur 200 m2 pour aller (exode sanitaire oblige !) se mettre au vert dans leur maison secondaire ou dans une villa louée pour l’occasion… cette crise sanitaire amplifie le développement des rapports de domination.

Regardons du côté de la condition des femmes. Par leur position dans la société, les femmes représentent indéniablement une classe fragilisée par cette crise sanitaire et le confinement que celle-ci impose. La situation des femmes victimes de violences conjugales est alarmante. Les chiffres actuels montrent une augmentation de 32 % des cas depuis le début du confinement. Des situations où la présence permanente du mari violent rend les demandes d’aide et les moyens de protection extrêmement difficiles. 210 000 femmes sont violentées par leur mari chaque année en France. Le confinement porte donc ce chiffre à (au moins) 300 000. Belle réussite du confinement ! Toujours dans la sphère de l’intime, l’accès à l’avortement est fragilisé, notamment pour les adolescentes qui n’ont plus de prétexte pour sortir de chez elles.

Et puisque, dans cette crise, c’est bien le monde du travail qui impose la marche à suivre, dans la sphère productive, l’exploitation des femmes se poursuit. Il y a les plus précaires, celles qui vivent sous le seuil de pauvreté, celles qui n’auront pas le choix d’accepter de travailler – quelles que soient les conditions sanitaires – pour pouvoir boucler la fin de mois. Il y a les femmes élevant seules leurs enfants, qui, faute d’école ou de nounou, subiront un chômage partiel qui les mettra à terre. À la fin de la crise, quelle sera la posture des banques envers ces femmes ?

On le sait : parmi le travail dédié aux femmes, celui du soin. Le 12 mars dernier, Macron demandait au personnel hospitalier de « continuer à faire des sacrifices ». La division sexuelle du travail à l’œuvre dans notre société fait reposer ce « sacrifice » sur une large majorité de femmes : 90 % de femmes chez les aides-soignantes, 87 % de femmes chez les infirmières… Les postes prestigieux, eux, sont occupés par des hommes. Avec la pénurie de matériel de protection, entre l’aide-soignante et le chirurgien, qui aura le masque ?

Le sacrifice se joue entre les classes sociales qui se côtoient à l’hôpital. Le sacrifice se joue entre les classes sociales tout court. Les femmes font partie des dominé·e·s, des exploité·e·s du système capitaliste, à qui l’on demande de continuer à faire marcher la machine économique à n’importe quel prix, et qui n’en obtiendront que du mépris (une prime de 1000 € ?) lorsque les puissants n’auront plus peur d’attraper la grippe.

6 – Le COVID19, arme de guerre… contre l’école

La mise en place de l’école à distance est une aubaine pour qui s’acharne à détruire le service public. C’est une véritable expérimentation grandeur nature pour terminer la privatisation de l’école rêvée par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et mise en œuvre par les ministres successifs depuis Luc Ferry.

Quoi de mieux que d’amener les enseignants à se penser comme des « facilitateurs pédagogiques » pour assurer la « continuité pédagogique » ? Le rêve ultime de l’idéologie libérale : l’enseignant·e est déchargé·e de toutes responsabilités éducatives, de tout désir de penser l’élève comme un être humain complet et complexe. L’enfant n’existe plus. Le sacro-saint programme construit autour des compétences n’a plus qu’à être digitalisé. Les enseignant·e·s deviennent des « intervenants à distance », pratiquant le « e-learning », surfant sur des plate-formes privées dont les contenus deviennent contrôlables et évaluables. Le contrôle : outil indispensable à la légitimité de la domination. Pour preuve ce mail envoyé ce jour, par une enseignante de maternelle, qui demande aux parents d’envoyer une photo de leur enfant en train de travailler : « Nous devons assurer la continuité pédagogique et l’inspection nous demande de vérifier qu’elle est bien mise en œuvre par les parents, sinon cela peut être considéré comme de l’absentéisme ». Pressions, contrôles et menaces… on y retrouve alors tous les ingrédients de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », adoptée en 2018, qui permet d’imposer une « démarche qualité » à tous les organismes de formation. Calquée sur des procédures de rentabilité industrielle, la démarche qualité a réussi le tour de force de mettre tous les organismes de formation en concurrence, d’imposer un vocabulaire unique (celui de la langue de bois bien sûr), de récupérer tous les contenus pédagogiques, de dématérialiser au maximum en réduisant les liens humains au minimum. Une expérimentation grandeur nature de ce qui est déjà à l’œuvre dans l’éducation nationale !

Alors on peut toujours penser que l’école par internet, c’est juste provisoire, que non cette loi n’est pas une étape intermédiaire pour finir de faire de l’école le réservoir de main d’œuvre du capital au détriment d’un lieu où penser la société de demain… si seulement cette expérimentation n’était pas déjà dans les tuyaux depuis plus de trente ans : baisse du nombre de fonctionnaires, privatisation de l’enseignement supérieur, décentralisation favorisant le lien avec le marché du travail local, emploi de directeurs devenus des managers, suppressions massives des postes éducatifs et de soins dans les établissements (psychologues scolaires, assistants sociaux, éducateurs, infirmiers…), mise en concurrence des établissements par l’attaque du statut d’enseignant (précarisation du métier, CDD, contractuel·le·s) et les enseignements de spécialités avec la loi Blanquer… Les bases sont posées, affirmées, assumées… Comment être naïfs au point de penser que cette période ne sera qu’une parenthèse ?

Et le place des enf… des élèves pardon ! C’est simple : on remplace une heure de cours par une heure de travail personnel… La durée d’attention d’un élève en classe varie de 4 minutes en maternelle à 35 minutes par heure pour un adulte. Transformer alors une heure de cours en une heure de travail personnel, c’est multiplier l’exigence de productivité scolaire par deux au minimum pour les lycéens. De plus, cela ne tient pas compte de chaque élève. Là où l’enseignant·e va évaluer que, sur la classe d’âge concernée, le travail donné est faisable en une heure, la réalité sera que ce travail sera réalisé en 30 minutes par certains et en 1h30 par d’autres. Ajoutons à cela les conditions matérielles de chaque élève : chambre seule ou non, travail sur ordinateur ou sur smartphone, accès à une imprimante scanner ou pas, nombre de personnes dans la maison et en capacité d’aider scolairement ou pas… Sans oublier qu’actuellement, celles et ceux qui sont toujours au travail – et donc pas disponibles pour leurs enfants – sont les salarié·e·s les plus précaires : ouvrier·e·s, caissières, aides à domiciles …On voit bien à nouveau les réalités matérielles niées, on voit bien comment, au profit de la « continuité pédagogique », on enterre les enfants des classes populaires pour pouvoir applaudir les quelques autres à la fin du confinement… Bravo les enfants, vous voyez bien que c’était possible : quand on veut, on peut !

Les ultra-libéraux de l’Union européenne et de l’OCDE l’ont rêvé, le COVID-19 l’a fait : la dématérialisation complète et totale de l’éducation nationale. Les requins de l’ordre capitaliste lorgnent sur ce ce marché éducatif mondial à conquérir (estimé à 20 000 milliards de dollars, dont 7 000 milliards d’euros pour l’Europe). Le fruit est mûr pour privatiser le système éducatif… Il ne restera plus qu’à Hachette édition (propriété du groupe Lagardère) à nous vendre par millions les logiciels que cet enseignement à distance, assuré par des « uber-profs », nécessitera. Et que feront les parents ? Dans le marasme de l’offre proposée, dans ce climat de compétition acharnée, les familles paieront bien sûr, enfin celles qui le pourront ! Pour le plus grand bonheur de la Bourse. L’OCDE l’a dit : les perspectives de profit pour les investisseurs institutionnels sur le marché éducatif mondial sont de 1 à 7 quand elles ne sont que de 1 à 2 sur le marché de la construction automobile.

Et lorsqu’il faudra, une fois la mission éducative de l’éducation nationale piétinée, se charger de transmettre quelques « savoir-être » et « compétences relationnelles » aux enfants et adolescents, le marché du développement personnel viendra nous vendre sa came à grands coups de conférences, de cours de coaching et de slogans plus creux les uns que les autres : « Sois le monde que tu veux voir », « La confiance en soi est le premier secret du succès », etc. Comme l’a si bien montré Eva Illouz dans son livre Happycratie, le développement personnel est non seulement un marché juteux, mais surtout l’ami protecteur des dominants puisqu’il contribue à invisibiliser les rapports sociaux de domination (classe, race, genre) au profit d’un seul discours : « Tu as les ressources en toi pour t’en sortir », et autres outils de culpabilisation individuelle. Théorisée aux Etats-Unis, la « psychologie positive » est la condition de la domination capitaliste dans les entreprises et sur nos vies.

7 – COVID19 et droit du travail

Pendant qu’on nous invite à nous laver inlassablement les mains, le patronat, lui, se les frotte ! Emmanuel Macron est définitivement l’ami des grands patrons. Et voilà la loi d’urgence face à l’épidémie qui autorise le gouvernement à agir par ordonnances. Le texte 52 de ces dernières permet à l’employeur d’imposer une durée de travail hebdomadaire portée à 60 heures, le travail le dimanche, des dates imposées de congés payés…

Il est intéressant de comparer les intitulés de ces ordonnances. Ici : « Ordonnance portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos » ; et là : « Ordonnance adaptant temporairement les conditions et modalités d’attribution de l’indemnité complémentaire » . Il n’est sans doute pas anodin de voir que, dans la seconde, apparaît le terme « temporairement », indication à laquelle Muriel Pénicaud s’est formellement opposée lorsqu’un amendement proposa de le faire figurer dans l’ordonnance « congés payés et autres… ». De là à penser que ces dérogations au code du travail soient destinées à perdurer…. Relance de l’économie oblige : 60 heures par semaine, réduction du repos quotidien de onze à neuf heures, soit quinze heures de travail-transport chaque jour ne font que nous renvoyer aux conditions de 1841, date de la première loi sur le travail. Cet « effort » qui va être imposé au monde du travail ne sera pas imposé à toutes les catégories sociales. Un amendement visant à relever le montant de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, faisant passer son taux de 3 % à 5 % des revenus supérieurs à 250 000 euros par an, a été sèchement rejeté.

Dans un tweet du 24 mars, Bruno Le Maire demande aux entreprises, notamment les plus grandes, « de faire preuve de la plus grande modération sur le versement de dividendes. C’est un moment où tout l’argent doit être employé pour faire tourner les entreprises ». Une simple demande donc, pas d’ordonnance ici pour contraindre le capital à participer à l’effort collectif alors même que les entreprises européennes s’apprêtent à verser 359 milliards d’euros à leurs actionnaires au titre des dividendes de l’année 2019. Pourtant, malgré ces chiffres exorbitants, l’État, pour pallier à la suspension partielle de l’économie, va soutenir ces mêmes entreprises en prenant en charge une partie des salaires, à travers les mesures de chômage partiel, ainsi qu’en suspendant les obligations fiscales et sociales de ces mêmes entreprises.

Au final, c’est bien aux travailleur·se·s que Macron s’en prend à nouveau pour « soutenir l’économie » en s’attaquant, non pas aux dettes sous lesquelles croulent les entreprises et dont il pourrait déclarer un moratoire, mais… aux cotisations sociales et aux impôts qu’elles versent, et au droit du travail.

Voulons-nous que la « guerre » menée par une classe dirigeante qui a montré son impréparation absolue à faire face à la pandémie – parce qu’elle a organisé le démembrement des services publics et de la production en France de biens de première nécessité – soit à nouveau l’occasion d’une union sacrée pour « sauver l’économie » en s’attaquant aux travailleur·se·s et en soutenant les prêteurs capitalistes, comme cela s’est fait en 2007 avec les beaux résultats que l’on sait ? Nous faisons depuis plus de dix ans l’expérience amère de la potion capitaliste que Macron veut à nouveau nous faire avaler alors que c’est elle qui nous a conduits à une impasse dont il prétend nous faire sortir en en rajoutant une louche. C’est assez !

Nous n’allons pas nous faire avoir à nouveau. Nous savons que nous ne pouvons attendre que le pire des « mobilisations générales » et de « l’union nationale » dans lesquelles nous enrôle la classe dirigeante sans nous demander notre avis, pour nous faire taire. Seule une mobilisation venue d’en-bas sera efficace contre le retour régulier de pandémies liées à une excessive division internationale du travail et à un rapport de plus en plus mortifère au vivant et à la nature dans la folle organisation capitaliste de la production.

La médiocrité de la réponse à la pandémie fait prendre conscience de l’absurdité de faire dépendre notre production de groupes capitalistes indifférents au maintien d’un tissu productif équilibré sur un territoire, qu’il soit régional ou national : les exemples d’entreprises neuves fermées alors qu’elles produisent des masques ou des bouteilles d’oxygène ont fait le tour des réseaux sociaux. Les travailleur·se·s (pas l’État !) doivent devenir propriétaires de tout outil de production de biens communs, les actionnaires doivent être évincés sans indemnisation, et les prêteurs non remboursés.

Autre prise de conscience : les ressources des personnes ne doivent pas dépendre de l’aléa de leur activité. Le confinement laisse nus tous les indépendants et génère un chômage partiel plein de trous qui vont notablement réduire les ressources d’employés du privé ou de contractuels de l’État. Alors que les fonctionnaires, eux, conservent leur salaire, qui est lié à leur grade et non à leur emploi. Seul le salaire lié à la personne (celui des fonctionnaires, celui des salariés à statut, celui des retraités… bref celui qu’attaquent avec détermination tous les gouvernements de l’Union européenne) nous permet de sortir de la forme capitaliste de la rémunération, qui la lie à la mesure d’activités aléatoires avec le filet de sécurité d’un revenu de base. Nos personnes doivent être libérées de cet aléa et reconnues, de 18 ans à la mort, par un salaire posé comme un droit politique et qu’il serait raisonnable d’inscrire dans une fourchette de 1 à 3. Chacun·e, à sa majorité, quels que soient son passé scolaire et son handicap, est doté·e du premier niveau de qualification, et donc des 1700 euros nets du Smic revendiqué, et peut, par des épreuves de qualification, progresser jusqu’à un salaire plafond de 5000 euros nets : au-delà, les rémunérations n’ont aucun sens. Droit politique de tout adulte vivant sur le territoire national, le salaire peut stagner, mais jamais diminuer ou être supprimé.

La propriété de tout l’outil par les travailleur·se·s et le salaire lié à la personne supposent une forte socialisation du PIB. Déjà, plus de la moitié est socialisée dans les impôts et cotisations sociales. Il faut aller encore plus loin. La valeur ajoutée des entreprises doit être affectée non plus à des rémunérations directes et à du profit, mais à des caisses gérées par les travailleur·se·s comme l’a été le régime général de 1947 à 1967. Elles verseront les salaires et subventionneront l’investissement, y compris par création monétaire. Alors nous pourrons libérer du capital nos vies et notre pays.

La survenue de l’épidémie de coronavirus a mis en évidence l’état de délabrement de l’hôpital public après quarante années de politiques libérales qui lui ont été imposées. Hasard du calendrier, cette épidémie a conduit le gouvernement à suspendre son projet de réforme des retraites. Maladie, vieillesse : deux branches de la sécurité sociale réunies par les événements.

Comme Ambroise Croizat et ses co-détenus au bagne de « Maison carrée » à Alger préparèrent un plan complet de sécurité sociale, mettrons-nous à profit cette période pour réfléchir aux revendications à porter dès la fin de la période de confinement ? Parmi celles-ci, une reconstruction de la sécurité sociale dans ses structures révolutionnaires de 1946, en revenant non seulement sur les exonérations de cotisations patronales, mais en revendiquant leur augmentation. Car c’est bien l’augmentation de ces cotisations qui permit à la sécurité sociale de subventionner la mise en place des Centres hospitaliers universitaires (CHU) au début de années 1960, transformant des mouroirs en usines de santé. Des plans de nationalisation de l’industrie pharmaceutique et de la recherche scientifique seraient également des revendications incontournables. Profiter de cette épidémie pour obtenir la reconquête de droits précédemment conquis représenterait en quelque sorte un renversement de la « stratégie du choc ».

Source : https://www.ardeur.net/2020/04/covid-19-lami-des-dominants/

1 Alain Badiou : L’hypothèse communiste, Ed Lignes
2 Emmanuel Todd : La lutte des classes en France au 21e siècle. Ed Seuil
3 Naomi Klein : La stratégie du choc. Ed Babel

 

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Covid-19 : le produit de la société industrielle

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Leurs virus, nos morts (Pièce et main d’oeuvre)

« L’es­poir, au contraire de ce que l’on croit, équi­vaut à la rési­gna­tion. Et vivre, c’est ne pas se rési­gner. »

— Albert Camus, Noces

Les idées, disons-nous depuis des lustres, sont épidé­miques. Elles circulent de tête en tête plus vite que l’élec­tri­cité. Une idée qui s’em­pare des têtes devient une force maté­rielle, telle l’eau qui active la roue du moulin. Il est urgent pour nous, Chim­pan­zés du futur, écolo­gistes, c’est-à-dire anti-indus­triels et enne­mis de la machi­na­tion, de renfor­cer la charge virale de quelques idées mises en circu­la­tion ces deux dernières décen­nies. Pour servir à ce que pourra.

1) Les « mala­dies émer­gentes » sont les mala­dies de la société indus­trielle et de sa guerre au vivant

La société indus­trielle, en détrui­sant nos condi­tions de vie natu­relles, a produit ce que les méde­cins nomment à propos les « mala­dies de civi­li­sa­tion ». Cancer, obésité, diabète, mala­dies cardio-vascu­laires et neuro-dégé­né­ra­tives pour l’es­sen­tiel. Les humains de l’ère indus­trielle meurent de séden­ta­rité, de malbouffe et de pollu­tion, quand leurs ancêtres paysans et arti­sans succom­baient aux mala­dies infec­tieuses.

C’est pour­tant un virus qui confine chez lui un terrien sur sept en ce prin­temps 2020, suivant un réflexe hérité des heures les plus sombres de la peste et du choléra.

Outre les plus vieux d’entre nous, le virus tue surtout les victimes des « mala­dies de civi­li­sa­tion ». Non seule­ment l’in­dus­trie produit de nouveaux fléaux, mais elle affai­blit notre résis­tance aux anciens. On parle de « comor­bi­dité », comme de « cowor­king » et de « covoi­tu­rage », ces ferti­li­sa­tions croi­sées dont l’in­dus­trie a le secret [1].

« “Les patients souf­frant de mala­dies cardiaques et pulmo­naires chro­niques causées ou aggra­vées par une expo­si­tion sur le long terme de la pollu­tion de l’air sont moins capables de lutter contre les infec­tions pulmo­naires, et plus suscep­tibles de mourir”, alerte Sara De Matteis, profes­seur en méde­cine du travail et de l’en­vi­ron­ne­ment à l’Uni­ver­sité de Cagliari en Italie. C’est prin­ci­pa­le­ment dans les grandes villes que les habi­tants seraient les plus expo­sés à ce risque[2]. »

Encore plus effi­cace : la Société italienne de méde­cine envi­ron­ne­men­tale a décou­vert un lien entre les taux de conta­mi­na­tion au Covid 19 et ceux des parti­cules fines dans l’air des régions les plus touchées d’Ita­lie. Fait déjà constaté pour la grippe aviaire. Selon Gian­luigi de Gennaro, de l’Uni­ver­sité de Bologne,

« Les pous­sières trans­portent le virus. [Elles] agissent comme porteurs. Plus il y en a, plus on crée des auto­routes pour les conta­gions[3]. »

Quant au virus lui-même, il parti­cipe de ces « mala­dies émer­gentes » produites par les ravages de l’ex­ploi­ta­tion indus­trielle du monde et par la surpo­pu­la­tion. Les humains ayant défri­ché toute la terre, il est natu­rel que 75 % de leurs nouvelles mala­dies soient zoono­tiques, c’est-à-dire trans­mises par les animaux, et que le nombre de ces zoonoses ait quadru­plé depuis 50 ans[4]. Ebola, le SRAS, la grippe H5N1, le VIH, le Covid-19 et tant d’autres virus animaux deve­nus mortel­le­ment humains par le saccage des milieux natu­rels, la mondia­li­sa­tion des échanges, les concen­tra­tions urbaines, l’ef­fon­dre­ment de la biodi­ver­sité.

La séden­ta­ri­sa­tion d’une partie de l’es­pèce humaine et la domes­ti­ca­tion des animaux avaient permis la trans­mis­sion d’agents infec­tieux des animaux aux hommes. Cette trans­mis­sion s’est ampli­fiée avec l’éle­vage indus­triel, le bracon­nage, le trafic d’ani­maux sauvages et la créa­tion des parcs anima­liers.

La défo­res­ta­tion, les grands travaux, l’ir­ri­ga­tion, le tourisme de masse, l’ur­ba­ni­sa­tion, détruisent l’ha­bi­tat de la faune sauvage et rabattent méca­nique­ment celle-ci vers les zones d’ha­bi­tat humain. Ce ne sont pas le loup et la chauve-souris qui enva­hissent les villes, mais les villes qui enva­hissent le loup et la chauve-souris.

La société indus­trielle nous entasse. Dans les métro­poles, où les flux et les stocks d’ha­bi­tants sont régu­lés par la machi­ne­rie cyber­né­tique. La métro­pole, orga­ni­sa­tion ration­nelle de l’es­pace social, doit deve­nir, selon les plans des tech­no­crates, l’ha­bi­tat de 70 % des humains d’ici 2050. Leur tech­no­tope. Ville-machine pour l’éle­vage indus­triel des hommes-machines [5].

Entas­sés sur la terre entière, nous piéti­nons les terri­toires des grands singes, des chauves-souris, des oies sauvages, des pango­lins. Promis­cuité idéale pour les conta­gions (du latin tangere : toucher). Sans oublier le chaos clima­tique. Si vous crai­gnez les virus, atten­dez que fonde le perma­frost.

Faut-il le rappe­ler ? L’hu­main, animal poli­tique, dépend pour sa survie de son biotope natu­rel et cultu­rel (sauf ceux qui croient que « la nature n’existe pas » et qui se pensent de pures (auto)construc­tions, sûre­ment immu­ni­sées contre les mala­dies zoono­tiques). La société indus­trielle pros­père sur une super­sti­tion : on pour­rait détruire le biotope sans affec­ter l’ani­mal. Deux cents ans de guerre au vivant[6] [plusieurs milliers d’an­nées, en réalité, NdE] ont stéri­lisé les sols, vidé forêts, savanes et océans, infecté l’air et l’eau, arti­fi­cia­lisé l’ali­men­ta­tion et l’en­vi­ron­ne­ment natu­rel, dévi­ta­lisé les hommes. Le progrès sans merci des nécro­tech­no­lo­gies nous laisse une Terre rongée à l’os pour une popu­la­tion de 7 milliards d’ha­bi­tants. Le virus n’est pas la cause, mais la consé­quence de la mala­die indus­trielle.

Mieux vaut préve­nir que guérir. Si l’on veut éviter de pires pandé­mies, il faut sortir de la société indus­trielle. Rendre son espace à la vie sauvage — ce qu’il en reste —, arrê­ter l’em­poi­son­ne­ment du milieu et deve­nir des Chim­pan­zés du futur : des humains qui de peu font au mieux.

2) La tech­no­lo­gie est la conti­nua­tion de la guerre — de la poli­tique — par d’autres moyens. La société de contrainte, nous y entrons.

Nul moins que nous ne peut se dire surpris de ce qui arrive. Nous l’avions prédit, nous et quelques autres, les catas­tro­phistes, les oiseaux de mauvais augure, les Cassandre, les prophètes de malheur, en 2009, dans un livre inti­tulé À la recherche du nouvel ennemi. 2001–2025 : rudi­ments d’his­toire contem­po­raine :

« Du mot “crise” découlent étymo­lo­gique­ment le crible, le crime, l’ex­cré­ment, la discri­mi­na­tion, la critique et, bien sûr, l’hy­po­cri­sie, cette faculté d’in­ter­pré­ta­tion. La crise est ce moment où, sous le coup de la catas­trophe — litté­ra­le­ment du retour­ne­ment (épidé­mie, famine, séisme, intem­pé­rie, inva­sion, acci­dent, discorde) —, la société mise sens dessus dessous retourne au chaos, à l’in­dif­fé­ren­cia­tion, à la décom­po­si­tion, à la violence de tous contre tous (René Girard, La Violence et le Sacré, Le Bouc émis­saire, et toute la théo­rie mimé­tique). Le corps social malade, il faut purger et saigner, détruire les agents morbides qui l’in­fectent et le laissent sans défense face aux agres­sions et cala­mi­tés. La crise est ce moment d’inqui­si­tion, de détec­tion et de diagnos­tic, où chacun cherche sur autrui le mauvais signe qui dénonce le porteur du malé­fice conta­gieux, trem­blant qu’on ne le découvre sur lui et tâchant de se faire des alliés, d’être du plus grand nombre, d’être comme tout le monde. Tout le monde veut être comme tout le monde. Ce n’est vrai­ment pas le moment de se distin­guer ou de se rendre inté­res­sant. […]

Et parmi les plus annon­cées dans les années à venir, la pandé­mie, qui mobi­lise aussi bien la bureau­cra­tie mondiale de la santé, que l’ar­mée et les auto­ri­tés des méga­lo­poles. Nœuds de commu­ni­ca­tion et foyers d’in­cu­ba­tion, celles-ci favo­risent la diffu­sion volon­taire ou acci­den­telle de la dengue, du chikun­gu­nya, du SRAS, ou de la dernière version de la grippe, espa­gnole, aviaire, mexi­co­por­cine, etc. […] Bien entendu, cette “crise sani­taire” procède d’une “crise de civi­li­sa­tion”, comme on dit “mala­die de civi­li­sa­tion”, incon­ce­vable sans une certaine mons­truo­sité sociale et urbaine, sans indus­trie, notam­ment agroa­li­men­taire et des trans­ports aériens. […]

On voit l’avan­tage que le pouvoir et ses agents Verts tirent de leur gestion des crises, bien plus que de leur solu­tion. Celles-ci, après avoir assuré pléthore de postes et de missions d’experts aux tech­narques et aux gestion­naires du désastre, justi­fient désor­mais, dans le chaos annoncé de l’ef­fon­dre­ment écolo­gique, leur emprise totale et durable sur nos vies. Comme l’État et sa police sont indis­pen­sables à la survie en monde nucléa­risé, l’ordre vert et ses tech­no­lo­gies de contrôle, de surveillance et de contrainte sont néces­saires à notre adap­ta­tion au monde sous cloche arti­fi­ciel. Quant aux mauvais Terriens qui — défaillance ou malfai­sance — compro­mettent ce nouveau bond en avant du Progrès, ils consti­tuent la nouvelle menace pour la sécu­rité globale[7]. »

Au risque de se répé­ter : avant, on n’en est pas là ; après, on n’en est plus là. Avant, on ne peut pas dire ça. Après, ça va sans dire.

L’ordre sani­taire offre une répé­ti­tion géné­rale, un proto­type à l’ordre Vert. La guerre est décla­rée, annonce le président Macron. La guerre, et plus encore la guerre totale, théo­ri­sée en 1935 par Luden­dorff, exige une mobi­li­sa­tion totale des ressources sous une direc­tion centra­li­sée. Elle est l’oc­ca­sion d’ac­cé­lé­rer les proces­sus de ratio­na­li­sa­tion et de pilo­tage des sans-pouvoir, au nom du primat de l’ef­fi­ca­cité. Rien n’est plus ration­nel ni plus voué à l’ef­fi­ca­cité que la tech­no­lo­gie. Le confi­ne­ment doit être hermé­tique, et nous avons les moyens de le faire respec­ter.

Drones de surveillance en Chine et dans la campagne picarde ; géolo­ca­li­sa­tion et contrôle vidéo des conta­mi­nés à Singa­pour ; analyse des données numé­riques et des conver­sa­tions par l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle pour tracer les contacts, dépla­ce­ments et acti­vi­tés des suspects en Israël[8]. Une équipe du Big Data Insti­tute de l’uni­ver­sité d’Ox­ford déve­loppe une appli­ca­tion pour smart­phone qui géolo­ca­lise en perma­nence son proprié­taire et l’aver­tit en cas de contact avec un porteur du virus. Selon leur degré de proxi­mité, l’ap­pli­ca­tion ordonne le confi­ne­ment total ou la simple distance de sécu­rité, et donne des indi­ca­tions aux auto­ri­tés pour désin­fec­ter les lieux fréquen­tés par le conta­miné[9].

« Les données person­nelles, notam­ment les données des opéra­teurs télé­pho­niques, sont aussi utili­sées pour s’as­su­rer du respect des mesures de quaran­taine, comme en Corée du Sud ou à Taïwan. C’est aussi le cas en Italie, où les auto­ri­tés reçoivent des données des opéra­teurs télé­pho­niques, ont expliqué ces derniers jours deux respon­sables sani­taires de la région de Lombar­die. Le gouver­ne­ment britan­nique a égale­ment obtenu ce type d’in­for­ma­tion de la part d’un des prin­ci­paux opéra­teurs télé­pho­niques du pays[10]. »

En France, Jean-François Delfraissy, le président du Comité consul­ta­tif natio­nal d’éthique et du « conseil scien­ti­fique » chargé de la crise du coro­na­vi­rus évoque l’éven­tua­lité du traçage élec­tro­nique au détour d’un entre­tien radio­pho­nique.

« La guerre est donc un acte de violence destiné à contraindre l’ad­ver­saire à exécu­ter notre volonté. » Ceux-là même qui n’ont pas lu Clau­se­witz, savent aujourd’­hui que la tech­no­lo­gie est la conti­nua­tion de la guerre par d’autres moyens. La pandé­mie est le labo­ra­toire du tech­no­to­ta­li­ta­risme, ce que les oppor­tu­nistes tech­no­crates ont bien compris. On ne rechigne pas en période d’ac­ci­dent nucléaire ou d’épi­dé­mie. La tech­no­cra­tie nous empoi­sonne puis elle nous contraint, au motif de nous proté­ger de ses propres méfaits.

Nous le disons depuis quinze ans : « La société de contrôle, nous l’avons dépas­sée ; la société de surveillance, nous y sommes ; la société de contrainte, nous y entrons. »

Ceux qui ne renoncent pas à l’ef­fort d’être libres recon­naî­tront avec nous que le progrès tech­no­lo­gique est l’in­verse et l’en­nemi du progrès social et humain.

3) Les experts aux commandes de l’état d’ur­gence : le pouvoir aux pyro­manes pompiers.

Nous ayant conduit à la catas­trophe, les experts de la tech­no­cra­tie prétendent nous en sauver, au nom de leur exper­tise techno-scien­ti­fique. Il n’existe qu’une seule meilleure solu­tion tech­nique, ce qui épargne de vains débats poli­tiques. « Écou­tez les scien­ti­fiques ! » couine Greta Thun­berg. C’est à quoi sert l’état d’ur­gence sani­taire et le gouver­ne­ment par ordon­nances : à obéir aux « recom­man­da­tions » du « conseil scien­ti­fique » et de son président Jean-François Delfraissy.

Ce conseil créé le 10 mars par Olivier Véran[11], à la demande du président Macron, réunit des experts en épidé­mio­lo­gie, infec­tio­lo­gie, viro­lo­gie, réani­ma­tion, modé­li­sa­tion mathé­ma­tique, socio­lo­gie et anthro­po­lo­gie. Les préten­dues « sciences humaines » étant comme d’ha­bi­tude char­gées d’éva­luer l’ac­cep­ta­bi­lité des déci­sions tech­niques — en l’oc­cur­rence la contrainte au nom de l’in­té­rêt supé­rieur de la santé publique.

Excellent choix que celui de Delfraissy, un homme qui vit avec son temps, ainsi que nous l’avons décou­vert à l’oc­ca­sion des débats sur la loi de bioé­thique :

« Il y a des inno­va­tions tech­no­lo­giques qui sont si impor­tantes qu’elles s’im­posent à nous. […] Il y a une science qui bouge, que l’on n’ar­rê­tera pas.[12] »

Ces cinquante dernières années en effet, les inno­va­tions techno-scien­ti­fiques se sont impo­sées à nous à une vitesse et avec une violence inéga­lées. Inven­taire non exhaus­tif : nucléa­ri­sa­tion de la planète ; OGM et biolo­gie synthé­tique ; pesti­cides, plas­tiques et déri­vés de l’in­dus­trie chimique ; nano­tech­no­lo­gies ; repro­duc­tion arti­fi­cielle et mani­pu­la­tions géné­tiques ; numé­ri­sa­tion de la vie ; robo­tique ; neuro­tech­no­lo­gies ; intel­li­gence arti­fi­cielle ; géo-ingé­nie­rie.

Ces inno­va­tions, cette « science qui bouge », ont boule­versé le monde et nos vies pour produire la catas­trophe écolo­gique, sociale et humaine en cours et dont les progrès s’an­noncent fulgu­rants. Elles vont conti­nuer leurs méfaits grâce aux 5 milliards d’eu­ros que l’État vient de leur allouer à la faveur de la pandé­mie, un effort sans précé­dent depuis 1945. Tout le monde ne mourra pas du virus. Certains en vivront bien.

On ignore quelle part de ces 5 milliards ira par exemple aux labo­ra­toires de biolo­gie de synthèse, comme celui du Géno­pole d’Évry. La biolo­gie de synthèse, voilà une « inno­va­tion si impor­tante qu’elle s’im­pose à nous ». Grâce à elle, et à sa capa­cité à fabriquer arti­fi­ciel­le­ment des orga­nismes vivants, les scien­ti­fiques ont recréé le virus de la grippe espa­gnole qui tua plus que la Grande Guerre en 1918 [13].

Destruc­tion/répa­ra­tion : à tous les coups les pyro­manes pompiers gagnent. Leur volonté de puis­sance et leur pouvoir d’agir ont assez ravagé notre seule Terre. Si nous voulons arrê­ter l’in­cen­die, reti­rons les allu­mettes de leurs mains, cessons de nous en remettre aux experts du système techno-indus­triel, repre­nons la direc­tion de notre vie.

4) L’in­car­cé­ra­tion de l’homme-machine dans le monde-machine. L’ef­fet cliquet de la vie sans contact.

Le contact, c’est la conta­gion. L’épi­dé­mie est l’oc­ca­sion rêvée de nous faire bascu­ler dans la vie sous commande numé­rique. Il ne manquait pas grand-chose, les terriens étant désor­mais tous gref­fés de prothèses élec­tro­niques. Quant aux attar­dés, ils réduisent à toute allure leur frac­ture numé­rique ces jours-ci, afin de survivre dans le monde-machine conta­miné :

« Les ventes d’or­di­na­teurs s’en­volent avec le confi­ne­ment. […] Tous les produits sont deman­dés, des équi­pe­ments pour des vidéo­con­fé­rences à l’or­di­na­teur haut de gamme pour télé­tra­vailler en passant par la tablette ou le PC à petit prix pour équi­per un enfant. Les ventes d’im­pri­mantes progressent aussi. Les Français qui en ont les moyens finan­ciers sont en train de recons­ti­tuer leur envi­ron­ne­ment de travail à la maison [14]. »

Nous serions bien ingrats de critiquer la numé­ri­sa­tion de nos vies, en ces heures où la vie tient au sans fil et au sans contact. Télé­tra­vail, télé­con­sul­ta­tions médi­cales, commandes des produits de survie sur Inter­net, cyber-école, cyber-conseils pour la vie sous cloche — « Comment occu­per vos enfants ? », « Que manger ? », « “Tuto confi­ne­ment” avec l’as­tro­naute Thomas Pesquet », « Orga­ni­sez un Skypéro », « Dix séries pour se chan­ger les idées », « Faut-il rester en jogging ? ». Grâce à WhatsApp, « “Je ne me suis jamais sentie aussi proche de mes amis”, constate Vale­ria, 29 ans, chef de projet en intel­li­gence arti­fi­cielle à Paris[15] ».

Dans la guerre contre le virus, c’est la Machine qui gagne. Mère Machine nous main­tient en vie et s’oc­cupe de nous. Quel coup d’ac­cé­lé­ra­teur pour la « planète intel­li­gente » et ses smart cities[16]. L’épi­dé­mie passée, quelles bonnes habi­tudes auront été prises, que les Smar­tiens ne perdront plus. Ainsi, passés les bugs et la période d’adap­ta­tion, l’école à distance aura fait ses preuves. Idem pour la télé­mé­de­cine qui rempla­cera les méde­cins dans les déserts médi­caux comme elle le fait en ces temps de satu­ra­tion hospi­ta­lière. La « machi­ne­rie géné­rale » (Marx) du monde-machine est en train de roder ses procé­dures dans une expé­rience à l’échelle du labo­ra­toire plané­taire.

Rien pour inquié­ter la gauche et ses haut-parleurs. Les plus extrêmes, d’At­tac à Lundi matin, en sont encore à conspuer le capi­ta­lisme, le néoli­bé­ra­lisme, la casse des services publics et le manque de moyens. Une autre épidé­mie est possible, avec des masques et des soignants bien payés, et rien ne serait arrivé si l’in­dus­trie auto­mo­bile, les usines chimiques, les multi­na­tio­nales infor­ma­tiques avaient été gérées collec­ti­ve­ment, suivant les prin­cipes de la plani­fi­ca­tion démo­cra­tique assis­tée par ordi­na­teur.

Nous avons besoin de masques et de soignants bien payés. Nous avons surtout besoin de regar­der en face l’em­bal­le­ment du système indus­triel, et de combattre l’aveu­gle­ment forcené des indus­tria­listes.

Nous, anti-indus­triels, c’est-à-dire écolo­gistes consé­quents, avons toujours été mino­ri­taires. Salut à Giono, Mumford, Ellul & Char­bon­neau, Orwell et Arendt, Camus, Saint Exupéry, et à quelques autres qui avaient tout vu, tout dit. Et qui nous aident à penser ce qui nous arrive aujourd’­hui.

Puisque nous avons du temps et du silence, lisons et médi­tons. Au cas où il nous vien­drait une issue de secours.

Pièces et main d’œuvre

Grenoble, 22 mars 2020

Source : http://www.piecesetmaindoeuvre.com/IMG/pdf/leurs_virus_nos_morts.pdf

___
[1] Rappel : la pollu­tion de l’air tue chaque année 48 000 Français et plus de 100 Greno­blois.
[2] http://www.actu-envi­ron­ne­ment.com, 20/03/20
[3] Idem
[4] Revues Nature et Science, citées par Wiki­pe­dia.
[5] Cf. Retour à Greno­po­lis, Pièces et main d’œuvre, mars 2020, http://www.piece­set­main­doeuvre.com
[6] Cf. J.-P. Berlan, La guerre au vivant, Agone, 2001.
[7] Pièces et main d’œuvre, À la recherche du nouvel ennemi. 2001–2025 : rudi­ments d’his­toire contem­po­raine, Editions L’Echap­pée, 2009.
[8]« Israel approves mass surveillance to fight coro­na­vi­rus », https://www.ynet­news.com, 17/03/20
[9] https://www.bdi.ox.ac.uk/news/infec­tious-disease-experts-provide
[10] Le Monde, 20/03/20
[11] Le nouveau ministre de la Santé est un méde­cin greno­blois, député LREM aorès avoir été suppléant de la socia­liste Gene­viève Fioraso, ex-ministre de la Recherche. Selon Le Monde, « un ambi­tieux “inconnu” » qui « sait se placer » (lemonde.fr, 23/03/20).
[12] Jean-François Delfraissy, entre­tien avec Valeurs actuelles, 3/03/18.
[13] Virus recréé en 2005 par l’équipe du Profes­seur Jeffrey Tauben­ber­ger de l’Ins­ti­tut de patho­lo­gie de l’ar­mée améri­caine, ainsi que par des cher­cheurs de l’uni­ver­sité Stony Brook de New York.
[14] http://www.lefi­garo.fr, 19/03/20.
[15] Le Monde, 19/03/20.
[16] Cf. « Ville machine, société de contrainte », Pièces et main d’œuvre, in Kairos, mars 2020 et sur http://www.piece­set­main­doeuvre.com

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Covid-19 : culpabiliser les citoyens, épargner les vrais responsables

https://france.attac.org/local/cache-vignettes/L250xH262/arton7346-435ef-2f0b5.png?1584961526Une des stratégies les plus efficaces mises en œuvre dans toute situation d’urgence par les pouvoirs forts consiste à culpabiliser les individus pour obtenir d’eux qu’ils intériorisent la narration dominante sur les événements en cours, afin d’éviter toute forme de rébellion envers l’ordre constitué.

Cette stratégie a été largement mise en œuvre dans la dernière décennie avec le choc de la dette publique, présenté comme la conséquence de modes de vie déraisonnables, où l’on vivait au-dessus de ses moyens sans faire preuve de responsabilité envers les générations futures.

L’objectif était d’éviter que la frustration due à la dégradation des conditions de vie de larges couches de la population ne se transforme en rage contre un modèle qui avait donné la priorité aux intérêts des lobbies financiers et des banques sur les droits des individus.

C’est bien cette stratégie qu’on est en train de déployer dans la phase la plus critique de l’épidémie de coronarivus.

L’épidémie a mis le roi à nu et fait ressortir toutes les impostures de la doctrine libérale

Un système sanitaire comme celui de l’Italie, qui jusqu’il y a dix ans était l’un des meilleurs du monde, a été sacrifié sur l’autel du pacte de stabilité : des coupes budgétaires d’un montant global de 37 milliards et une réduction drastique du personnel (moins 46 500 personnes, entre médecins et infirmièr.e.s), avec pour brillant résultat la disparition de plus de 70 000 lits d’hôpital – ce qui veut dire, s’agissant de la thérapie intensive de dramatique actualité, qu’on est passé de 922 lits pour 100 000 habitants en 1980 à 275 en 2015.

Tout cela dans le cadre d’un système sanitaire progressivement privatisé, et soumis, lorsqu’il est encore public, à une torsion entrepreneuriale obsédée par l’équilibre financier.

Que la mise à nu du roi soit partie de la Lombardie est on ne peut plus illustratif : cette région considérée comme le lieu de l’excellence sanitaire italienne est aujourd’hui renvoyée dans les cordes par une épidémie qui, au cours du drame de ces dernières semaines, a prouvé la fragilité intrinsèque d’un modèle économico-social entièrement fondé sur la priorité aux profits d’entreprise et sur la prééminence de l’initiative privée.

Peut-on remettre en question ce modèle, et courir ainsi le risque que ce soit tout le château de cartes de la doctrine libérale qui s’écroule en cascade ? Du point de vue des pouvoirs forts, c’est inacceptable.

Et ainsi démarre la phase de culpabilisation des citoyens

Ce n’est pas le système sanitaire, dé-financé et privatisé qui ne fonctionne pas ; ce ne sont pas les décrets insensés qui d’un côté laissent les usines ouvertes (et encouragent même la présence au travail par des primes) et de l’autre réduisent les transports, transformant les unes et les autres en lieux de propagation du virus ; ce sont les citoyens irresponsables qui se comportent mal, en sortant se promener ou courir au parc, qui mettent en péril la résistance d’un système efficace par lui-même.

Cette chasse moderne, mais très ancienne, au semeur de peste est particulièrement puissante, car elle interfère avec le besoin individuel de donner un nom à l’angoisse de devoir combattre un ennemi invisible ; voilà pourquoi désigner un coupable (« les irresponsables »), en construisant autour une campagne médiatique qui ne répond à aucune réalité évidente, permet de détourner une colère destinée à grandir avec le prolongement des mesures de restriction, en évitant qu’elle ne se transforme en révolte politique contre un modèle qui nous a contraints à la compétition jusqu’à épuisement sans garantir de protection à aucun de nous.

Continuons à nous comporter de façon responsable et faisons-le avec la détermination de qui a toujours à l’esprit et dans le cœur une société meilleure.

Mais commençons à écrire sur tous les balcons : « Nous ne reviendrons pas à la normalité, car la normalité, c’était le problème ».

Marco Bersani (Attac Italie)

Source : https://france.attac.org/se-mobiliser/que-faire-face-au-coronavirus/article/et-maintenant-on-culpabilise-les-citoyens

 

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Pourquoi la loi Travail met en péril la sécurité et la santé des salariés

arton5460-93894Chaque jour, trois personnes meurent de leur travail en France : plus d’un millier de décès chaque année dont les trois quarts à cause d’un accident du travail souvent évitable ou d’une maladie professionnelle. Si la prise en compte de la santé et de la sécurité des salariés a progressé depuis trois décennies, et permis de sauver des vies, le projet de loi de la ministre du Travail Myriam El Khomri risque de réduire ces avancées sociales à néant. Les organisations du travail et les cadences pourront être durcies, le suivi médical affaibli, et les salariés fragilisés seront remerciés par un licenciement. Quand le gouvernement prône l’insécurité au travail…

« La vie d’un entrepreneur est bien souvent plus dure que celle d’un salarié. Il ne faut jamais l’oublier. Il peut tout perdre, lui, et il a moins de garanties », expliquait le ministre de l’Économie Emmanuel Macron en janvier. Comme si les salariés, assurés d’un revenu en fin de mois et d’horaires de travail fixes, ne prenaient jamais de risques. Une petite phrase qui révèle une fois de plus l’ignorance totale du monde du travail et de ce qui s’y joue par une partie des dirigeants politiques, alors que le projet de réforme du Code du travail fait peser une menace sur la santé et la sécurité des salariés.

Quatre ouvriers du groupe sidérurgiste ArcelorMittal, dont deux intérimaires et un sous-traitant, ont, eux, tout perdu, en y laissant leur vie. Ils ont péri à Dunkerque et à Fos-sur-Mer sur deux sites de l’entreprise, entre fin 2014 et septembre 2015. Des accidents terribles : l’un des ouvriers a été percuté par une chargeuse, un autre a été écrasé par des rails, deux intérimaires ont basculé dans des cuves de métal en fusion. Des drames qui n’ont pas fait la une des faits divers, ni émus le gouvernement. Cette série noire alarmante révèle une réalité quotidienne peu connue : la mortalité au travail.

Chaque jour, trois personnes meurent de leur travail en France : 1170 décès en 2014. Pour 45% d’entre-eux, l’accident s’est produit sur le lieu de travail. Dans 31,5% des cas, il est l’ultime conséquence d’une maladie professionnelle, contractée à cause du travail, comme les cancers liés à l’amiante. Et dans près d’un quart des situations, le salarié a été tué dans un accident de trajet entre son domicile et son travail, selon les données collectées par la Caisse nationale d’Assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts, voir ici) [1]. Une mortalité que dénonce le collectif Pour ne pas perdre sa vie à la gagner, dont les états généraux se tiendront les 16 et 17 mars prochains.

Quels sont les salariés les plus touchés ?

Le profil type du salarié tué au travail ? Un homme, quinquagénaire, et ouvrier dans le BTP. Deux tiers des victimes ont plus de quarante ans – la tranche d’âge la plus touchée est celle des 50-59 ans. Parmi ceux qui y laissent leur vie, un tiers sont ouvriers, un sur dix est cadre. 90% sont des hommes. Les jeunes ne sont cependant pas épargnés par les accidents : les moins de 20 ans subissent trois fois plus d’accidents du travail que leurs aînés (lire notre enquête).

Les intérimaires sont particulièrement frappés. Ultra flexibles et confrontés à la précarité de leurs revenus et de leurs périodes d’emploi, ces salariés cumulent les contraintes : ils ont deux fois plus d’accidents au travail que les employés en CDI. Près de 35 000 intérimaires ont été victimes d’un accident du travail en 2013 et 67 en sont morts. Plus précaires et moins formés, ils sont souvent exposés aux tâches les plus dangereuses. Le secteur du BTP demeure le plus dangereux, avec 12% des décès au travail, suivi par celui des transports (10%). Rapporté au nombre de l’effectif salarié, l’agriculture est l’activité la plus meurtrière.

Pourquoi autant d’accidents du travail ?

« Tout accident de travail est évitable », assure Pascal Jacquetin, directeur adjoint des risques professionnels à la Cnamts. Ces drames professionnels suivent des scénarios identifiables, souvent prévisibles. Le Code du travail, quoiqu’en disent ses détracteurs, fixent les grands principes que doivent respecter les employeurs « pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Parmi ces principes, « adapter le travail à l’homme, en particulier en ce qui concerne la conception des postes de travail ainsi que le choix des équipements de travail et des méthodes de travail et de production, en vue notamment de limiter le travail monotone et le travail cadencé et de réduire les effets de ceux-ci sur la santé » ou « prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle » [2]. Un impératif que le projet de loi de la ministre du Travail Myriam El Khomri vise indirectement à « limiter » par « les nécessités du bon fonctionnement de l’entreprise » (article 1 du projet de loi).

« La mort est la conséquence ultime d’une défaillance. Le véritable scandale commence avec les 620 000 accidents avec arrêt par an », estime Pascal Jacquetin. Le « risque routier » et les chutes de hauteur constituent les principales causes de décès. Tous résultent d’une série de manquements aux règles, d’erreurs humaines ou de défauts techniques. Des négligences souvent elles-mêmes causées par des choix d’organisation du travail. Plusieurs enquêtes ou rapports d’expertises montrent que l’intensification des tâches, la pression des délais, les horaires imprévisibles au nom de la rentabilité augmentent les risques et favorisent l’émergence de difficultés, de souffrances, voire de drames. « La plupart des accidents seraient évités par quelques mesures de bons sens », insiste Pascal Jacquetin pour qui l’objectif de « zéro accident » est atteignable. Sauf que la protection des salariés reste trop souvent perçue comme une dépense, voire une contrainte.

La ministre du travail contre la sécurité des salariés ?

Le projet de loi de Myriam El Khomri l’affaiblira encore davantage. Celui-ci remet notamment en cause le principe de la visite médicale, pour chaque salarié, par un médecin du travail. « Les visites périodiques seront réservées aux salariés en difficultés ou à risque. Cela signifie que des salariés ne feront plus l’objet d’une surveillance périodique », déplore Alain Carré, médecin du travail et membre de l’Association Santé et Médecine du travail. « Il faut considérer que cette disposition ne permettra plus le repérage pour tous les salariés des altérations de la santé qui précèdent en général les atteintes graves ». Et « c’est l’employeur qui détiendra dorénavant la définition de ce qu’est un poste à risque, dans la mesure où le médecin du travail n’aura plus ni le temps ni les moyens d’en construire une définition ou de le repérer ».

En réduisant les repos compensateurs dont bénéficient les salariés d’astreinte, ou en rendant possible la semaine hebdomadaire de 46 heures, la réforme risque d’encourager les organisations du travail pathogènes. « Un récent article de chercheurs, paru dans la revue médicale The Lancet montre que la survenue d’accidents vasculaires cérébraux, et dans une moindre mesure d’infarctus, est fortement corrélée au temps de travail hebdomadaire », illustre Alain Carré.

Les accidents mortels diminuent-ils ?

Les instruments de protection des salariés, et la lente mais progressive prise en compte de la santé et de la sécurité au travail, ont pourtant fait leur preuve. En trente ans, le nombre de tués a été réduit de moitié. En ne prenant en compte que les accidents mortels sur le lieu de travail, on comptait 2230 morts en 1970, soit six par jour ! Plus que 1130 en 1984, deux ans après la mise en œuvre des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), aujourd’hui menacés (lire notre article). Le nombre de victimes est descendu à 530 en 2014. Une législation plus contraignante en terme de santé et de sécurité conjuguée à des progrès technologiques, notamment dans les secteurs dangereux comme la construction ou la métallurgie, ont contribué à diminuer par quatre le nombre d’accidents mortels.

La vigilance et la prévention n’expliquent pas seules la baisse sur plusieurs décennies des accidents mortels. Elle provient aussi de l’évolution de l’économie. La tertiairisation des emplois vers des activités de services a modifié l’exposition aux risques. En parallèle, le développement des emplois temporaires et de la sous-traitance permet aux donneurs d’ordres d’externaliser ces risques – EDF avec les sous-traitants du nucléaire par exemple – et de rendre invisibles les accidents, par le recours massif à l’intérim notamment. Autre raison : la montée du chômage, liée en particulier à la désindustrialisation, qui a frappé les ouvriers quinquagénaires. Pour Pascal Jacquetin, la baisse des accidents mortels « est donc plus liée à la conjoncture qu’à un effort vertueux des entreprises ».

Moins d’accidents mais plus de maladies professionnelles

Depuis dix ans, la moyenne oscille autour de 500 accidents mortels annuels, hors risque routier et maladies professionnelles. Le taux de gravité des accidents a cependant tendance a augmenté. Tout comme les maladies professionnelles ,en hausse de 40% ces dix dernières années ! « S’il y a clairement moins d’accidents directs, on assiste à un développement des décès dus aux maladies psychiques », constate l’ancien inspecteur du travail Patrick Le Moal. Stress, burn-out, dépressions liées au travail sont en nette augmentation. Autant de facteurs connus pouvant conduire au suicide, comme l’a illustré la tourmente qu’a connue France Télécom – Orange en 2008.

Difficile de faire reconnaître cet acte irréversible comme accident du travail [3]. En pratique, ce n’est qu’au prix d’un long combat judiciaire que les familles de défunts obtiennent la prise en charge par la sécurité sociale. Les proches de Laurent Radenac, salarié travaillant dans un entrepôt du groupe Nestlé, ont lutté cinq ans durant avant que le tribunal des affaires sociales admette, en février 2016, le lien entre son décès et son métier. En détresse, l’homme s’était laissé mourir de froid suite à un litige avec son employeur après un accident du travail.

Qui est responsable d’un accident du travail mortel ?

A qui sont imputables les décès professionnels ? En droit, l’employeur, présumé responsable d’un accident, a pour obligation de garantir la santé de ses salariés.
A chacun de ces drames, l’inspection du travail enquête sur les circonstances et les causes de la mort. En fonction du type d’infractions, l’affaire peut être renvoyée vers la justice administrative ou pénale. Problème : seule la moitié des procès-verbaux dressés pour santé et sécurité par les inspecteurs du travail sont suivis d’effet. Un PV sur deux se perd dans les limbes administratives et judiciaires. Un « flagrant déni de justice », pointait en 2010 l’association d’inspecteurs du travail L. 611-10, du nom de cet article du code du travail.

En 2009, un quart des affaires arrivées sur le bureau d’un Procureur étaient classées sans suite. Quand ce dernier engage des poursuites, la justice demeure plutôt clémente avec ce type « d’insécurité ». Dans une affaire sur quatre, l’employeur est relaxé au pénal. S’il est reconnu coupable, la sanction se limite souvent à une amende. Orange vient ainsi d’être condamné à verser 50 000 euros d’amendes pour la mort de Jean-Claude Lachaux, tombé d’une échelle lors d’une intervention technique. Environ 2% des PV dressés par l’Inspection du travail aboutissent à une peine de prison, en général avec sursis.

Pourquoi la Justice est-elle si lente ?

Entre enlisement et report d’audience, neuf ans de procédure ont été nécessaires pour juger l’affaire Pierre Rivas, ouvrier intérimaire tué sur le chantier de Gare TGV d’Aix-en-Provence en 2001. Sept ans après l’écrasement de Gille Dudde par un train d’atterrissage d’Airbus près de Toulouse, en 2005, un juge prononce un non-lieu. Depuis, la famille tente en vain de relancer l’affaire. Récemment, Gilles de Robien, ancien maire d’Amiens, a finalement été relaxé, treize ans après la mort d’Hector Lobouta, un ouvrier en insertion, sur un chantier dont la municipalité était maître d’œuvre. Idem pour le directeur de l’usine AZF à Toulouse, relaxé en 2015 par la cour de cassation, soit quatorze ans après l’explosion de l’usine chimique.

Ces « délais anormaux », insupportables pour les familles, seraient en partie liés à l’encombrement des tribunaux. Le droit pénal au travail ne serait pas la priorité des magistrats, « pas une matière noble », commente-t-on. Pourtant, il est des affaires où la justice ne se prive pas de sanctionner. Le tribunal d’Amiens vient de condamner huit anciens salariés de Goodyear à neuf mois de prison ferme pour avoir « séquestré » leurs patrons deux ans auparavant.

Demain, les salariés en souffrance seront-ils licenciés ?

Si la réforme du droit du travail est adoptée, l’employeur sera davantage protégé face à la survenue de maladies professionnelles ou de risques psychologiques. Car tout salarié perçu comme fragilisé et en danger pourra être tout simplement… licencié. « Le projet de loi prévoit la possibilité d’un avis du médecin du travail disant « que tout maintien du salarié dans l’entreprise serait gravement préjudiciable à sa santé ou que l’état de santé du salarié fait obstacle à tout reclassement dans l’entreprise ». Cette formule permet de mettre à l’écart un salarié « pour son bien », et légitime dans l’esprit du médecin l’idée que la seule manière de sauvegarder la santé réside parfois dans le départ de l’entreprise. Dès lors que le médecin prononcera la formule magique, le projet prévoit que l’employeur est délié de l’obligation de reclassement qui existait jusqu’ici et peut licencier le salarié pour « motif personnel » », alerte le médecin du travail Alain Carré.

Côté gouvernement, le troisième plan d’action de santé au travail s’attèle à cibler les « risques prioritaires » afin de développer la « culture de la prévention » dans les entreprises. En réalité, des représentants des salariés aux médecins et inspecteurs du travail, en passant par les CHSCT, c’est tout le système de prévention qui « est progressivement défait depuis quelques années », s’inquiète le collectif pour la santé des travailleurs et travailleuses. « C’est lui que nous voulons préserver et renforcer » , interpelle-t-il dans une pétition.

Pire : le gouvernement a adopté le 9 février un décret modifiant le fonctionnement des indemnisations versées aux victimes des accidents du travail, qui pourraient être revues à la baisse. Pour l’association Henri Pézerat, du nom du toxicologue pionnier du combat contre l’amiante, ce décret remet en cause « un siècle de droit à réparation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles » : « Ceux qui sont mutilés, empoisonnés, cassés par des conditions de travail dangereuses, voire mortifères, sont dans le viseur du Gouvernement. On en est là aujourd’hui. » Il y a du boulot pour faire valoir les droits de ceux qui ont réellement tout perdu. Surtout à l’heure où le Code du travail et la protection des salariés s’apprêtent à être une nouvelle fois dépouillés.

Ludo Simbille et Ivan du Roy

Source : https://www.bastamag.net/Qui-meurt-du-travail-aujourd-hui-en-France

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Notes

[1] Ces chiffres officiels restent sous-estimés en raison de la sous-déclaration des accidents à la sécurité sociale.

[3] Légalement, pour être reconnu comme accident du travail, le suicide doit être commis sur le temps et le lieu de travail. En 2009, les CPAM recensaient 56 décès par suicide comme accident du travail.

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Le diesel tue !

https://vimeo.com/81051416

« Diesel : la dangereuse exception française », une enquête de Cash Investigation

« Près des trois quarts des voitures neuves en France sont équipées de moteur Diesel. C’est un record mondial. L’Organisation Mondiale de la Santé pointe l’effet cancérigène des gaz d’échappement des Diesel. Pourtant, dans l’Hexagone, cette situation n’est pas prête d’être remise en question, même si la pollution de l’air provoque plus de 40 000 décès prématurés chaque année. Enquête sur les raisons de cette exception française, alors que des normes de pollution sont de plus en plus strictes. Comment les constructeurs tricolores ont pu investir dans la technologie du Diesel, avec la bénédiction de l’Etat, en dépit des avertissements et des dangers sanitaires ? »