De semaine en semaine, la seconde vague de verrouillage, annoncée à demi-mots dès cet été, a progressé par étapes jusqu’au reconfinement, et l’on nous prépare déjà à une troisième. De jour en jour, d’heure en heure, l’Etat, les autorités sanitaires et les médias entretiennent la terreur, répétant comme une litanie leurs chiffres hypnotiques, sidérant les esprits par un bombardement d’informations partielles, d’annonces choc et de consignes paradoxales.
Cette propagande massive et la peur qu’elle sème dans les rues nous empêchent de penser. La panique emprisonne l’attention sur une vision rétrécie du danger, ne permettant pas de recul, tétanisant le raisonnement. Il est admis de critiquer la «gestion de la crise», de râler contre l’incompétence des responsables, de dénoncer des erreurs et des injustices, de réclamer à l’État et à l’industrie de meilleurs services de santé, mais pas de critiquer la terreur elle-même, pas de remettre en cause la gravité de l’épidémie. De nombreux médecins et scientifiques contestent les chiffres et discours alarmistes, mais les médias ne relaient pas leur parole, si ce n’est pour la condamner. Remettre en cause la version officielle des faits, c’est tomber dans le «complotisme». A la peur de tomber malade s’ajoute la peur d’être infecté par des pensées hérétiques, non certifiées par les experts.
Car si au printemps l’épidémie nouvelle et mal connue pouvait sembler justifier des réactions maladroites et disproportionnées, la prétendue seconde vague de cet automne ne le permet pas. La maladie est mieux connue et il n’est plus possible de ne pas douter des discours alarmistes à son sujet. Il est devenu trop évident que depuis cet été les chiffres produits par le dépistage massif sont utilisés de manière insensée pour répandre la peur et justifier des choix politiques. Il faut toute l’agressivité de la propagande pour tétaniser cette évidence. Et cette propagande aurait rapidement perdu en crédibilité si elle n’avait su exploiter la recrudescence saisonnière normale des morbidités.
Depuis cet été, des centaines de médecins et de scientifiques en France prennent la parole pour contester cette politique de la peur, expliquer en quoi les chiffres sont manipulés et donner les informations manquantes pour les comprendre. [1] Ils affirment que la gravité de cette épidémie est phénoménalement surestimée, ils rappellent qu’elle n’est réellement dangereuse que pour un nombre très limité de personnes fragiles (principalement les personnes de plus de 80 ans ou atteints de co-morbidités), et que s’il faut bien sûr protéger ces personnes, cela ne justifie pas les mesures sanitaires d’exception sur l’ensemble de la population, qui produisent des dégâts de santé et des effets sociaux autrement plus destructeurs : provoquent bien d’autres décès et morbidités, créent une crise économique, dévastent la vie sociale, suppriment la démocratie. Il n’est sans doute pas utile de contester que masques, gestes barrières et distanciation peuvent empêcher un certain nombre de décès, mais ce sera un nombre relativement faible en regard duquel les sacrifices exigés de la société sont totalement disproportionnés. Même le décompte officiel des décès Covid, avec tous les biais qui le grossissent, ne permet pas de mettre en évidence une surmortalité réellement catastrophique par rapport aux autres années, et ne peut pas justifier les dégâts incommensurablement plus élevés des politiques de verrouillage.
Bien sûr, cette disproportion, cet emballement insensé de la réaction sanitaire doit beaucoup aux contradictions de notre système de santé industriel, pris entre son rôle moral, l’abstraction scientifique et la logique gestionnaire, un système qui à la fois subit une politique de réduction des coûts et se voit demander de réduire le nombre de morts «quoi qu’il en coûte». Il faut nous interroger sur le sens d’une santé réduite à l’objectif de prolonger statistiquement la survie, ainsi que sur le rapport de dépendance qui structure la médecine : on considère la santé avant tout comme le produit d’une activité technique, un service qui doit être fourni au public et dont l’État est le garant. La peur de ne pas assumer cette responsabilité peut expliquer en partie les réactions paniques et démesurées des autorités médicales et de l’État. Et l’obéissance à leurs décisions insensées se présente à tous les échelons comme une affaire de responsabilité juridique, une affaire de «protocole» : il faut s’en laver les mains. «Prendre soin» devient une formalité au nom de laquelle on peut aller jusqu’à maltraiter son prochain. Aux derniers échelons de cette déresponsabilisation en chaîne, les malades, les personnes âgées dépendantes et les enfants encaissent massivement les mauvais traitements.
Mais même si de tels paradoxes ont beaucoup contribué à l’emballement, cet automne il est devenu impossible de ne pas s’interroger sur ce qu’il y a de volontaire dans cet emballement, ce qu’il y a d’intéressement, de manipulation et de falsification dans le discours sanitaire. La psychose générale qui emporte les bienveillances dans une direction absurde ne s’est pas développée toute seule : bien qu’elle soit favorisée par les faiblesses de notre culture, elle est avant tout produite et entretenue par une propagande acharnée. L’instrumentalisation politique et économique de l’épidémie est bien plus significative que les contraintes juridiques, la panique sincère et l’incompétence des gestionnaires. C’est tellement grave, tellement énorme, que beaucoup d’entre nous refusent de le reconnaître et se replient dans le déni.
A quoi ça rime?
Quel sens aurait une telle politique? Pour certains, enclins à une conception policière de l’histoire qui s’arrête à dénoncer un crime et ses coupables, il s’agit d’un «hold-up» commis par une minorité corrompue contre une société innocente. Mais il ne suffit pas d’identifier quelques criminels au pouvoir, il faut reconnaître que cette crise favorise et accélère certaines tendances historiques de nos sociétés.
La terreur n’est pas nouvelle, c’est une tactique politique à laquelle même nos démocraties libérales font régulièrement appel, et de plus en plus depuis les années 80, en se servant principalement des actes «terroristes», mais aussi de temps en temps avec des menaces sanitaires. La terreur, c’est : piéger les esprits dans une guerre spectaculaire dont le scénario, toujours le même, est : «nous sommes en guerre» contre un ennemi absolu (omniprésent, invisible, increvable, qui peut frapper partout, qui se cache au milieu de nous), nous devons tous nous unir contre lui; se servir de cette menace pour détourner l’attention des véritables problèmes sociaux en exigeant une unanimité factice occultant les rapports de domination et d’exploitation; instaurer un état d’urgence qui permet de suspendre les procédures démocratiques ordinaires (aussi insuffisantes soient-elles) pour un certain nombre de décisions politiques autoritaires et coercitives, inacceptables en tant normal; faire régner la peur et la panique, une situation émotionnelle qui submerge les citoyens, les empêche de réflechir, de prendre du recul, les contraint à adhérer, à se conformer, à demander la protection du pouvoir.
L’épidémie est utilisée comme une menace terrorisante pour gouverner de manière autoritaire, faire taire les réels conflits sociaux, suspendre la contestation, développer les moyens de surveillance et de coercition. Le contenu des mesures sanitaires est clair : réduire au minimum l’activité sociale, interdire les rencontres et rassemblements, supprimer la vie publique, séparer et isoler les individus, les enfermer chez eux devant des écrans, leur faire craindre le contact avec autrui, les culpabiliser. Au nom de l’union nationale contre un danger biologique, régner par la division, briser les solidarités, répandre le soupçon, la délation, les conflits mesquins au sujet de l’obéissance aux ordres et de l’orthodoxie de la pensée, le conformisme violent et la haine des bouc-émissaires.
Si cet incroyable verrouillage a été possible, c’est parce que les citoyens sont tous équipés, à leur domicile et dans leur poche, d’outils de télécommunication qui permettent de vivre enfermé, isolé mais connecté. Sans sortir de notre bulle, nous pouvons discuter, regarder, consommer, commercer, télétravailler, bénéficier d’une flatteuse sensation de présence au monde et de participation à la communauté. La vraie vie sociale se vit dans l’espace public, l’espace du contact, des rencontres directes, libres et non-programmées, le monde réel dont nous nous nourrissons, que nous pouvons nous approprier et où nous pouvons être forts ensemble. Sans cela, nos ordinateurs ne nous fournissent qu’un substitut de vie sociale, une société captive, où nos activités sont cadrées, mises en boîte, analysées, traçées, administrables et exploitables à volonté. Au nom de l’épidémie, on s’empresse d’installer dans tous les aspects de la vie la médiation des écrans, de l’industrie des télécommunications et de l’informatique, tant pour le profit des marchands que pour le pouvoir que cette industrie crée sur nos vies, les immenses possibilités de surveillance, de gestion, de domination. Une évolution totalitaire dont l’actuel déploiement de la 5G est une étape décisive. Ce qu’il y a de «totalitaire» là-dedans ne se reconnaît pas tant au bruit des bottes des militaires qu’au bruit des pantoufles et des clics des citoyens assignés à résidence. Leur dépossession est rendue acceptable par le fun infantilisant des services en ligne, le confort captivant de cette vie sans contact et sans effort, délivrée du monde, abreuvée de sons et d’images.
Les industries des télécoms et du numérique font partie, avec les industries pharmaceutiques et biotechnologiques, des grands gagnants de cette politique catastrophiste et de la crise économique qu’elle organise. [2] Ce qui est fait au nom de l’épidémie – le sabordage des économies nationales annonçant de gigantesques réformes capitalistes – ressemble à une brutale opération de restructuration économique, comme celles que les instances néo-libérales internationales ont imposées à des pays en faillite depuis les années 80. Certaines le revendiquent dans leur langage, comme le FMI ou le Forum Economique Mondial qui appellent à «saisir cette fenêtre d’opportunité» pour accélérer la transformation du monde à laquelle elles travaillent. Le capitalisme connaît régulièrement des crises, ceux qui en ont une vision stratégique tentent d’en tirer parti, comme ceux qui n’y cherchent qu’un profit à court-terme. Il ne s’agit pas d’un complot mystérieux, ce sont là des tendances structurelles du capitalisme, dans lesquelles convergent une multitude d’intérêts concurrents et discordants.
Le capitalisme est devenu catastrophiste : les désastres économiques et biologiques qu’il provoque, au lieu de le freiner, sont pris comme autant de nouvelles raisons de continuer dans la même direction, spéculer et produire de manière insensée, progresser dans l’exploitation et la dépossession. Les Etats se présentent comme les seuls à même d’administrer la catastrophe par des politiques autoritaires développant la financiarisation, la surveillance, le contrôle, la contrainte, les industries vendent les solutions technologiques aggravant la dépendance et l’irresponsabilité, et cela permet à tous de se dire écolos. [3] Les catastrophes fournissent de nouvelles raisons d’être à un système social dont la nullité et la toxicité se font toujours plus sentir. Ce système n’arrive pas à se légitimer seulement par ses promesses défaillantes de liberté, de bonheur et de prospérité, il se justifie aussi par la peur, il a un profond besoin de dangers, d’ennemis et de catastrophes dont nous menacer et nous protéger : la guerre, le terrorisme, le fascisme, les famines, les maladies, le réchauffement climatique… La terreur est une fonction essentielle à nos sociétés capitalistes, et son usage politique croît à mesure que s’abime leur valeur.
Dans cette perspective, l’actuelle politique sanitaire nous a malheureusement fait franchir une étape déterminante dans le renoncement et la dépossession, elle a créé un rapport de forces sur lequel il sera difficile de revenir. L’instauration de mesures d’urgence antisociales à ce point injustifiées et leur acceptation par la population sont un précédent historique pour les crises à venir. A moins que nous arrêtions de nous laisser faire, il n’y aura pas de retour à la normale. L’État et les médias semblent déterminés à faire durer cette crise aussi longtemps que possible. Puis, au prochain coup de sifflet, pour une nouvelle épidémie, un accident nucléaire ou autre chose, nous serons sommés de renoncer à nouveau à la vie publique, nous confiner, suivre des protocoles absurdes, nous traçer électroniquement, obéir à d’autres mesures terrorisantes et anti-démocratiques, s’ajoutant à celles justifiées par la lutte contre le terrorisme. Etant donné que l’épidémie de Covid-19 n’est en réalité pas significativement plus dangereuse que bien d’autres maladies que nous connaissons déjà, il n’y a pas de raison que les mêmes mesures ne soient pas renouvelées au nom des prochaines grippes ou d’autres épidémies ordinaires.
Ce tournant catastrophiste est peut-être plus grave encore que les énormes dégâts sanitaires, sociaux et économiques de la guerre contre le virus. Nos démocraties basculent du côté totalitaire. Ce qui mérite d’être appelé totalitaire, ce n’est pas tant la «restriction des libertés» et une oppression exercée sur l’individu, c’est plutôt l’atomisation qui nous réduit à être des individus isolés, n’ayant pas d’autre vie sociale que celle passant par le pouvoir et les machines : c’est la suppression de la vie publique, la destruction de la solidarité, du sens de la communauté et du contact avec autrui, le règne de la terreur. C’est aussi la destruction de la vérité et du contact avec la réalité. Voilà bien ce qui nous arrive : un gigantesque délire protocolaire, une schizophrénie prescrite, une sorte d’exercice de docilité mentale. Nous devons croire à une peste imaginaire, chacun est sommé de jouer le jeu de cette mascarade, participer au spectacle de la terreur et montrer qu’il renonce au sens commun. Voilà la signification des mesures sanitaires hypocrites, accompagnées de la condamnation de toute critique dans une ambiance de lynchage et de lâcheté intellectuelle. [4] L’obligation du port du masque est le symbole de ce muselage, et c’est pourquoi tant de gens la trouvent révoltante, même sans oser le dire : ils sentent qu’il s’agit d’une offensive contre la dignité et la vérité, contre la décence commune.
Imposer masques et protocoles absurdes à la jeunesse et à l’enfance, c’est non seulement les maltraiter en exacerbant la violence disciplinaire et en leur imposant des conditions psychopathologiques de développement, mais c’est aussi leur apprendre à vivre dans la terreur, le mensonge organisé, l’hypocrisie obligatoire, la soumission à la «post-vérité» édictée par les autorités.
Cette offensive totalitaire porte aussi atteinte à notre immunité : notre capacité d’auto-défense, plus largement notre capacité d’entretenir une relation avec le monde tout en restant soi-même, distingant ce qui nous est propre et ce qui nous est impropre, capacité qui est non seulement physiologique mais aussi émotionnelle et mentale, et à laquelle participent nos capacités de jugement, notre esprit critique et notre libre contact avec autrui.
Nous sommes aujourd’hui divisés, par la distanciation mais aussi par la peur et la confusion produites par la propagande et les désinformations croisées. Il nous faut nous rassembler à nouveau, cesser de nous laisser intimider, oser parler et penser ensemble la situation. Remettons les pieds sur terre et dans l’espace public. Face à ce qu’il y a de totalitaire dans la présente crise, réaffirmons la solidarité, réaffirmons le sens commun qui permet la dignité et la vérité.
Défendons notre droit à la rencontre et au rassemblement, sans lequel aucun droit politique n’est possible, et sans lequel aucun rapport de force, pour quelque lutte que ce soit, ne peut jamais se constituer.
Opposons la désobéissance civile à la politique de la terreur et à sa mascarade de science. Ne laissons plus les pouvoirs publics et les intérêts privés gouverner tyranniquement au nom d’une urgence sanitaire falsifiée. Ne les laissons plus usurper l’autorité scientifique pour rendre indiscutables leurs décisions politiques intéressées. Cette crise va continuer à être exploitée pour mener de grandes réformes néo-libérales et anti-démocratiques, refusons qu’elles nous soient imposées au nom de l’épidémie et d’un chantage à la survie. Contre l’expertise technique et les impératifs de gestion de l’industrie médicale, réclamons notre droit de décider ce qu’est une vie bonne.
Ne laissons pas s’installer ce monde sans contact. Refusons les technologies qui le construisent, notamment le réseau 5G et les mouchards électroniques de toutes sortes. Ce refus implique une réflexion critique sur nos usages numériques : le séduisant smartphone qui a envahi nos vies est actuellement l’outil-clé de ce projet de société totalitaire nous enfermant dans nos bulles connectées.
Défendons, cultivons la présence. Refusons le «distanciel» et la mise en place des télécommunications dans toutes les activités : commerce en ligne, télétravail, téléenseignement, télémédecine, numérisation des services publics, fermeture des universités, etc. Refusons le port du masque obligatoire en milieu scolaire par les enfants et les adultes.
Face au choc économique, développons nos propres solidarités, réapproprions-nous nos besoins et les moyens de les satisfaire.
[3]Voir Jaime Semprun et René Riesel, Catastrophisme, administration du désastre et soumission durable, Ed.Encyclopédie des Nuisances, 2008.
[4]George Orwell, l’auteur de 1984, roman qui mettait en scène le célèbre «Big Brother», dénonçait le totalitarisme comme une «tournure d’esprit» très répandue dans les pays démocratiques, caractérisée par «la lâcheté intellectuelle», l’acceptation du mensonge politique, l’abandon du souci de la vérité et de la liberté d’expression, commandés par l’adhésion partisane et l’urgence de la guerre. (Voir «Réflexions sur la guerre d’Espagne», «Préface inédite à Animal Farm», et «Où meurt la littérature», in Essais, articles et lettres, éd. Ivréa/Encyclopédie des Nuisances.) Orwell disait dans 1984 que, face à la falsification totalitaire, la liberté la plus fondamentale, c’est «la liberté de dire que deux et deux font quatre».
Partout sur le territoire français, la Smart City révèle son vrai visage : celui d’une mise sous surveillance totale de l’espace urbain à des fins policières.
À Toulouse, Valenciennes ou Paris, on expérimente la vidéosurveillance réputée « intelligente » car fondée sur le traitement automatisé des flux vidéos pour imposer la reconnaissance faciale.
À Saint-Étienne, une startup s’allie avec la mairie pour déployer des micros dans l’espace urbain afin d’alerter la police en cas de bruit suspect.
À Marseille où Nice, des industriels voraces comme Thalès ou Engie avancent main dans la main avec les élus pour pousser leurs projets de « Safe City », sorte de couteau-suisse sécuritaire qui va de la reconnaissance des émotions dans l’espace public urbain à l’interconnexion massive de bases de données à des fins de police prédictive, en passant par la surveillance des réseaux sociaux.
Les nouvelles technologies informatiques comme le Big Data et l’Intelligence Artificielle sont la clé de voûte de ces différents projets. Ce sont elles qui doivent permettre de faire sens de toutes les données que l’on saura produire ou collecter, établir des corrélations, faire des recoupages statistiques, tracer des individus ou administrer des lieux.
La Smart City fait ainsi de la Technopolice notre futur. Sous couvert d’optimisation et d’aide à la décision, elle transforme l’urbanité toute entière pour en faire une vaste entreprise de surveillance. Une surveillance macroscopique d’abord, dédiée à un pilotage serré et en temps réel des flux de population et de marchandises, à une gestion centralisée depuis un centre de commandement hyperconnecté. Puis, une surveillance rapprochée des individus et des groupes : dès que des comportements « suspects » sont détectés, les appareils répressifs pourront fondre sur eux, « préempter la menace » et réprimer la moindre petite infraction à l’ordre public. Ou à l’inverse récompenser les citoyens jugés vertueux.
Sauf qu’il suffit de regarder dans le miroir que nous tendent l’histoire ou d’autres régions du monde pour savoir à quoi la Technopolice nous conduit : renforcement des formes de discrimination et de ségrégation, musellement des mouvements sociaux et dépolitisation de l’espace public, automatisation de la police et du déni de justice, déshumanisation toujours plus poussée des rapports sociaux. Tout cela et plus encore, au prix d’un gigantesque gâchis financier et écologique qui ne servira qu’à conforter le pouvoir des marchands de peur, et à maquiller le plus longtemps possible l‘ineptie de leurs politiques.
Les technocrates misent donc sur le Plan et la Machine pour réguler nos villes et nos vies. En lieu et place de la polis entendue comme cité démocratique, comme espace pluraliste, lieu de déambulation, de rencontres impromptues et de confrontation à l’altérité, ils mettent la ville sous coupe réglée. La technopolice ressemble à un gigantesque tube à essai dans lequel les formes les plus avancées du contrôle social pourront être mises au point.
Contre cette dystopie que préparent ceux qui prétendent nous gouverner, nous appelons à une résistance systématique.
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Technopolice est une campagne visant à documenter et à lutter contre le déploiement de nouvelles technologies policières (drones, reconnaissance faciale, vidéosurveillance automatisée, police prédictive…). Un site (https://technopolice.fr/), un forum et une base documentaire ont été créé pour permettre à chacune et chacun de se saisir de ces questions.
Nous persistons à défendre Cesare Battisti, contre les forces politiques qui, de la France au Brésil, de l’Italie à la Bolivie, ont fait de lui le jouet d’un antiterrorisme fantasmatique, de surenchères sécuritaires et d’un justicialisme qui confond la justice avec un populisme pénal nourrissant la vengeance infinie des Etats.
Cesare Battisti a été enlevé en janvier 2019 en Bolivie, dans des circonstances étrangères à toute forme de droit international et national. [1] La mise en scène télévisée de son atterrissage à l’aéroport de Ciampino, où il a été accueilli par le ministre de l’Intérieur d’extrême-droite Salvini et son soutien « 5 étoiles », déguisés en policiers, a choqué jusqu’au Conseil supérieur de la magistrature italienne. Depuis maintenant 40 ans, Cesare démontre qu’il a renoncé à toute activité clandestine et violente et on lui applique rétroactivement un régime antiterroriste qui lui interdit tout contact avec d’autres détenus et le maintient à l’isolement 24 h sur 24. Cela se passait dans la prison d’Oristano, dans des circonstances telles qu’il devait choisir entre prendre son repas de midi ou la « promenade » dans un espace restreint. C’est pourquoi, au début de la semaine dernière il avait entamé une grève de la faim.
En fin de semaine, il a été transféré en Calabre, dans la prison de Rossano où on le maintient toujours sous le régime dit AS2, réservé aux terroristes : il y sera en compagnie de 18 prisonniers d’Al Qaeda ! A cette heure, nous ignorons s’il poursuit sa grève de la faim.
Sa persécution par l’administration pénitentiaire fait l’objet de plusieurs plaintes. L’arbitraire exorbitant qu’il subit n’a strictement rien à voir avec une éventuelle dangerosité : on ne lui pardonne pas d’avoir essayé d’échapper à la vengeance d’Etat et c’est pour cela que nous persistons à le défendre.
Nous persistons à défendre Cesare Battisti, non pas parce qu’il serait innocent, parce qu’il serait écrivain ou parce qu’il serait sympathique, ou toute autre raison, mais parce que, de par son histoire, il appartient pleinement à cette fraction de la population italienne, jeune et moins jeune, qui, dans les années 70 du siècle dernier, est entrée pendant une décennie en sécession avec la vieille société, sa soumission au capitalisme débridé et ses forces politiques institutionnelles. Cette sécession a pris aussi une tournure violente, et si on doit critiquer la forme politique que cette violence s’est donnée, et les discours idéologiques qui allaient avec, il convient d’observer que cette violence était le fait de toute la société italienne, en particulier des forces de l’ordre et des Services secrets. Les attentats aveugles, de loin les plus meurtriers, étaient le fait d’une extrême-droite largement infiltrée et manipulée par les services étatiques. C’est notamment parce que, avec ses romans, Cesare Battisti a rappelé la réalité d’une époque mythifiée sous le vocable « années de plomb », que les représentants des forces politiques attaquées à l’époque, qui n’ont jamais cessé de gouverner ensemble ou séparément, se sont acharnées sur lui, soutenus par des médias en mal de monstres et par les pestes émotionnelles d’une opinion manipulée.
Nous persistons et persisterons à soutenir Cesare Battisti dans sa bataille pour obtenir que ses droits lui soient rendus, notamment, dans un premier temps, celui à une détention « normale ». Nous le soutiendrons dans son combat pour obtenir auprès de l’ONU et du Conseil de l’Europe que soit reconnu le caractère illicite de son enlèvement et de sa détention. Nous persisterons à défendre l’idée que la société italienne a tout à gagner à regarder en face son passé et à s’acheminer vers l’amnistie des délits politiques des années 70.
Premières signatures : Isabelle Alonso, écrivaine et chroniqueuse ; Jean-Pierre Bastid, écrivain ; Luca Belvaux, cinéaste ; Stéphanie Benson, écrivaine ; Eric Beynel, porte-parole de la confédération Solidaires ; Laurence Biberfeld, écrivaine ; Jean-Pierre Bouyxou, critique de cinéma ; Eric Brun, sociologue ; Jean-Marie Buchet, cinéaste ; Pierre Carles, cinéaste ; Jean-Louis Comolli, cinéaste ; Anne Crignon, journaliste (Le Nouvel Observateur) ; Elsa Dorlin, philosophe ; Gérard Delteil, écrivain ; Pascal Dessaint, écrivain ; Jean-Michel Devésa, professeur des universités, écrivain ; Patrick Dewdney, écrivain ; Sylvain Garel, ancien président du groupe écologiste à la Mairie de Paris ; François Gèze, éditeur ; Alain Jugnon, philosophe ; Chantal Junius, retraitée ; Hervé Le Corre, écrivain ; Marin Ledun, écrivain ; Gilles Martin-Chauffier, écrivain et rédacteur en chef de Paris-Match ; Chantal Montellier, écrivaine et bédéiste ; Patrick Mosconi, écrivain ; Jean-Jacques M’U, éditeur ; Gilles Perrault, écrivain ; Serge Quadruppani, écrivain et traducteur ; Nathalie Quintane, écrivain ; Patrick Raynal, écrivain, ancien directeur de la Série Noire ; Vincent Ruyschaert, thermicien ; Elisa Santanela, maître de conférences en études italiennes ; Alessandro Stella, directeur de recherches au CNRS ; Charles Tatum Jr, traducteur, éditeur ; Rémi Toulouze, éditeur ; Patricia Tutoy, sociologue ; Fred Vargas, écrivaine ; Jo Vargas, peintre ; Gilbert Oscaby, retraité…
Pour signer cette tribune, vous pouvez vous rendre sur la plateforme Change.org en cliquant ici.
[1] Il avait déposé une demande d’asile en bonne et due forme et l’Etat bolivien aurait dû attendre la fin de l’instruction de sa demande avant de prendre la décision de le remettre ou pas, entre les mains de la justice brésilienne qui le recherchait. Pour éviter qu’il soit transféré au Brésil avant d’être extradé en Italie, comme la procédure l’exigeait, une équipe de fonctionnaires italiens est venue le chercher dans l’avion prêt à décoller pour l’emmener dans un avion spécialement affrété à destination de l’Italie : cette manœuvre visait à éviter une extradition à partir du Brésil, qui aurait lié l’Italie à un accord passé avec ce pays, et l’aurait obligée à ne pas lui faire subir de peine de prison supérieure à 30 ans.
COVID-19, l’ami des dominants : un texte écrit par l’équipe de L’ardeur, association d’éducation populaire politique
Pour ce gouvernement anti-populaire, engagé dans une politique de destruction de la protection sociale et de répression policière des colères, des mobilisations et des insurrections qui en découlent, le COVID-19 permet de réaliser plusieurs tests en grandeur nature :
– Test de contrôle de la population (répression, prison, hélicoptères, drones, communications).
– Test d’obéissance de la police dans ce contrôle des populations.
– Test de privatisation-dislocation de l’éducation nationale transférée en e-learning.
– Test d’avancement de la vidéo-médecine à distance.
– Test de soumission des médias, de la population et des gauches (union nationale oblige).
– Test de démolition avancée du droit du travail.
1 – Le contexte
Depuis les années 1980, l’effacement de l’hypothèse communiste (1) laisse le capitalisme en roue libre et l’humanité livrée aux inégalités monstrueuses qui l’accompagnent. Or les profits ne se réalisent plus sur la fabrication et la vente de marchandises qui sont en surproduction (les voitures de 2018 ne sont toujours pas écoulées) mais sur la financiarisation-casino de l’économie et les réductions de dépenses publiques dans le cadre de politiques d’austérité. Si le capitalisme européen s’est assuré tout un temps de l’ordre social en échange de politiques de protection sociale, il s’aligne (dès 1983 en France) sur le capitalisme américain et s’engage dans la voie d’une privatisation-marchandisation de la société et d’une destruction des services publics. Ces dernières se réalisent dès Maastricht, puis dans l’imposition de la « Constitution » de l’Union Européenne et de sa monnaie unique interdisant aux États d’agir sur la protection sociale par des dépenses publiques, lesquelles sont désormais soumises à l’impératif de non-inflation, d’interdiction des augmentations de salaires pour maintenir le taux de profit des dominants, propriétaires d’entreprises ou traders. Mais réduire la protection sociale, réduire et supprimer les allocations chômage, démanteler les soins de santé, démolir la recherche, supprimer des postes à l’éducation nationale, vendre les barrages et les aéroports, baisser puis écraser les retraites… tout cela génère des mouvements de population insurrectionnels et incontrôlables (les gilets jaunes en sont un exemple) qui supposent que l’État se prépare à la guerre sociale en armant son dispositif policier vers le contrôle des mouvements insurrectionnels. Après les LBD, voici les drones et le suivi des smartphones. Dans son dernier ouvrage « La lutte des classes au 21e siècle » (2), Emmanuel Todd évoque la dérive fascistoïde du gouvernement Macron. Nous y sommes !
L’union nationale : vous avez aimé « Je suis Charlie » ? Vous allez adorer COVID-19 !
« Nous sommes en guerre », a déclamé sept fois Macron. Invisible, diffus, insaisissable l’ennemi combattu ? Qu’importe ! Car désigner un ennemi, a fortiori invisible, c’est faire taire tous les désaccords, au nom de l’union sacrée ! Si l’éducation populaire consiste à comprendre les systèmes à l’œuvre dans un événement, et à déjouer les effets de propagande en traquant les biais de pensée, il convient de s’alerter collectivement sur cet appel à l’union nationale : « Plus de place pour la division », ressassent les chroniqueurs. Mais rien n’est plus étranger à l’éducation populaire qu’une union sacrée renonçant à toute critique derrière un chef autoritaire ! Refuser cette injonction au consensus et à l’enrouement du débat rend alors nécessaire d’apporter notre voix à l’analyse de la situation…
La seule guerre à laquelle nous assistons est celle que le capitalisme mène sur nos existences. Dans cette crise sanitaire, que peut-on attendre d’un pouvoir qui a si férocement et si continûment attaqué la protection sociale de sa population, démoli l’hôpital, les retraites, le chômage, la formation continue, qui a rivalisé de suppressions de fonctionnaires avec les autres candidats à la présidentielle (moi 200 000 ! Non… moi 500 000 ! ) ? Rien !
Macron n’existe pas. La démolition de l’hôpital public a commencé avec Mitterrand et Bérégovoy dès le départ des ministres communistes en 1983, et s’est poursuivie avec les autres présidents. Macron lui-même n’a été fabriqué que pour prendre la suite des serviteurs du capital qui l’ont précédé à ce poste, et choisi pour sa capacité de nuisance… Car, privé de toute marge de manœuvre économique ou monétaire dans le cadre de l’UE, il n’a aucun autre pouvoir que celui de nous nuire. En s’affichant sans honte dans un hôpital saturé pour combattre les effets d’une situation dont il a fabriqué les causes, lui qui a supprimé plus de 4 000 lits d’hôpitaux sur la seule année 2018 et a charcuté plusieurs centaines de millions d’euros de moyens alloués aux personnels médicaux… Macron ne saurait nous rendre dupes : il n’est pas, et ne sera jamais, notre sauveur. Fidèle à son programme électoral exigé par le Medef, il se saisira de cette crise sanitaire pour renforcer la dévastatrice emprise du capitalisme sur nos existences. À l’heure où beaucoup se remettent à lire La stratégie du choc de Naomi Klein (3) et font l’expérience en grandeur nature d’un capitalisme qui déploie sa nuisance par crises successives, on peut s’attendre – « crise » et « union nationale » obligent – à une démolition accélérée du droit du travail, à une politique accrue d’austérité et de réduction des dépenses publiques.
Interrogé sur France Inter sur le fait de savoir si cette épidémie le ferait revenir sur sa proposition de 500 000 suppressions de postes de fonctionnaires, Bruno Retailleau (qui bien que dans l’opposition parlementaire n’a d’opposition à la politique du gouvernement que l’apparence) affirme sans sourciller qu’il ne sera pas question de ralentir les réformes ! Ces gens-là ne tireront aucune leçon. Au contraire. Cette crise sera pour eux l’opportunité d’une accélération des destructions, notamment celle des services publics. Noam Chomsky nous a prévenu·e·s : « Comment détruire un service public ? Commencez par baisser son financement. Il ne fonctionnera plus. Les gens s’énerveront, ils voudront autre chose. C’est la technique de base pour privatiser un service public »… et seule une insurrection ou une grève générale les arrêtera.
Car avec le COVID-19, c’est la guerre des classes qui va se durcir par un enchaînement trop prévisible pour ne pas être annoncé : crise sanitaire, crise économique, crise financière et, en bout de course, crise sociale ! Quand le COVID-19 aura mis sur le carreau un ou deux millions de chômeur·se·s supplémentaires, on pourra compter sur ce gouvernement, qui a déjà fait la démonstration de son amour de la protection sociale, pour nous concocter quelques exonérations de cotisations, dégrèvements, allègements fiscaux supplémentaires pour les patrons, bonus records pour les traders les plus malins, dont le job n’est pas de financer l’économie mais de jouer à la baisse ou à la hausse les fluctuations de l’économie… Pour eux, cette crise est un cadeau, qui comme, toutes les crises financières avant elle, ne sera rien d’autre qu’une banale crise cyclique de la surproduction qui permet au capital de se concentrer encore un peu plus en liquidant les maillons faibles des petites entreprises et en écrabouillant les travailleurs sous l’œil docile des lanceurs de LBD et des médias. Le capitalisme est le seul mode de production dans lequel les crises prennent la forme d’une surproduction (https://wikirouge.net/Crise_de_surproduction).
2 – Le test sécuritaire
16 mars (jour de l’annonce du confinement) : dans le département des Côtes d’Armor, 1 cas détecté (sur une population de 600 000 habitants). Le préfet fait survoler les plages par des hélicoptères de la gendarmerie.
Si des mesures de prudence et confinement dans le cas d’une épidémie sont un choix compréhensible, encore peut-on s’interroger sur les différentes modalités possibles d’un tel confinement : total ou régional, par tranche d’âge, avec ou sans possibilité de s’aérer, etc. À l’exception d’un accident nucléaire majeur, ou d’un virus que l’on contracterait par simple respiration dans l’air, aucune crise sanitaire ne peut justifier l’interdiction de promenades solitaires en forêt, sur des plages, dans les rues… Aucune crise sanitaire ne peut justifier que l’on désigne les citoyen·ne·s comme des coupables en puissance (lorsqu’Édouard Philippe annonce que le gouvernement prend des mesures de confinement drastiques car les citoyens ne sont pas suffisamment dociles, il transforme tout un chacun en délinquant). Aucune crise sanitaire ne peut justifier une politique hyper répressive incluant le survol d’une plage par des hélicoptères, l’interdiction de sortir plus de 20 minutes de chez soi, de s’éloigner de plus de 1km. Aucune crise sanitaire ne peut justifier que l’on ferme les parcs et les jardins publics. Aucune crise sanitaire ne peut justifier que l’on punisse des citoyen·ne·s d’amendes lourdes (jusqu’à 3 500 €) et de prison (six mois) en cas de promenades solitaires. N’importe quel gouvernement soucieux du bien-être de la protection de sa population en cas de crise sanitaire devrait au contraire prendre acte des difficultés personnelles, familiales, psychologiques, sociales considérables qu’entraîne un confinement, et le rendre supportable en invitant largement la population à s’aérer et à sortir se promener, à condition de respecter les mêmes règles de gestes barrières qui sont demandées pour le travail qui, lui, non seulement n’est pas solitaire, non seulement est autorisé, mais est rendu obligatoire sur rappel du Medef.
Au risque du sentiment d’une humiliation collective, aucune population ne peut comprendre qu’elle soit obligée d’utiliser les transports en commun pour aller travailler, à condition de respecter une distance d’un mètre, mais qu’elle risque la prison si elle va se promener sur une plage, en ne nuisant à personne, en ne mettant personne en danger dans la mesure où elle respecte les mêmes règles que celles imposées dans l’utilisation des transports en commun.
Avec Emmanuel Todd, nous rappelons que « faute d’avoir prise sur l’Histoire, les gouvernants français sont passés « en mode aztèque ». Ils se vengent de leur impuissance au niveau international en martyrisant leurs concitoyens… ». Et ils peuvent compter pour cela sur le zèle d’une police inféodée qui s’empressera de matraquer les promeneurs isolés à coups d’amendes à 135 euros pour leur apprendre à obéir. Nous savons depuis un an de gilets jaunes que nous ne pouvons plus attendre aucune protection de la police. Que, comme dans toutes les périodes de crise, comme en 1940, elle choisit de servir le gouvernement, et non plus le droit. Et cela risque bien de se renforcer… Comme l’écrit Raphaël Kempf, avocat pénaliste, « il faut dénoncer l’état d’urgence sanitaire pour ce qu’il est : une loi scélérate » ! Adopté à marche forcée pour une période soi-disant circonscrite, cet état d’urgence vise des objectifs à plus long terme : celui de violer les libertés élémentaires de tou·te·s, celui de donner à la police des pouvoirs illimités, celui de venir enterrer définitivement l’État de droit.
La constitution de la 5e République avait bricolé un régime présidentiel sur mesure pour un général dans une situation de guerre en Algérie. Elle transformait le Parlement en une chambre d’enregistrement, à l’image des 308 pantins recrutés à la hâte sur entretien au printemps 2017 pour servir de paillasson au Medef. Entre les mains des Hollande, Sarkozy, Chirac ou Macron, cette 5e République est entre les mains de voyous caractériels et doit être abandonnée. Macron n’hésitera pas à se réfugier derrière le COVID-19 pour utiliser les pleins pouvoirs de l’article 16 et faire interdire la presse, les réseaux sociaux, et ce qu’il appelle déjà les fake news et les incitations à la haine. Sa position est une position de haine de classe, et son gouvernement suinte la haine de classe. L’intérêt des ateliers constituants qui se multiplient partout en France est de nous préparer à écrire nous-mêmes la constitution dont nous aurons besoin quand nous aurons chassé ce pouvoir.
Cette guerre de classes, cette guerre au peuple, cette guerre aux pauvres, est lisible au niveau spatial, géographique. Dès les premiers jours, les médias ont évoqué le manque de « civisme » des habitant·e·s des quartiers populaires, épinglé.e.s pour leur inconscience face à la propagation et leur refus des contrôles : ainsi, le 19 mars, BFMTV dénonce des « violences urbaines malgré le confinement », des « rébellions et crachats sur des policiers » et même « des regroupements sur les toits d’immeuble » pour y faire des barbecues (jusqu’à quelle extrémité peuvent aller ces petits voyous de banlieue !). Depuis, des témoignages attestent d’interpellations policières violentes dans ces mêmes quartiers. Comme celle de Sofiane, 21 ans, habitant des Ulis (Essonne), qui, le 24 mars, a eu le grand tort de vouloir sortir de chez lui pour aller travailler (il est livreur pour Amazon !) : il a été rossé par les agents de la BAC pour avoir essayé d’échapper à leur contrôle (il n’avait pas son attestation de déplacement dérogatoire sur lui). Imagine-t-on les mêmes scènes à Neuilly ou à Passy ? Et, comme ce fut le cas pour les gilets jaunes, ces violences policières sont encore largement sous-médiatisées.
3 – Des médias au garde-à-vous
En dehors des aspects proprement médicaux de la situation sur lesquels nous ne sommes pas compétent·e·s (nous ne sommes pas microbiologistes et il y a déjà suffisamment de vidéos sur le coronavirus, d’interviews et d’exposés de tous bords, de tous scientifiques pour ne pas inonder davantage le débat), il nous revient en revanche d’interroger les aspects politiques et en soumettre les contradictions à notre intelligence collective. Compter sur nous-mêmes en somme et sur notre intelligence critique que nous nie l’intégralité (ou presque) des médias, docilement regroupés autour du pouvoir exécutif.
Le nombre de morts égrené chaque jour dans nos médias est profondément anxiogène. Le traitement médiatique de la situation nous rend inévitablement vulnérables et les conséquences sur nos citoyennetés sont dramatiques. On ne compte plus les exemples de personnes se faisant apostropher pour être sorties acheter du pain (franchement, a-t-on vraiment besoin de pain frais quotidien en cette période de catastrophe mondiale ?) ou pour avoir rendu visite à un proche. Tout le monde est en train de devenir le flic des autres. L’ambiance est à la dénonciation et aux milices de volontaires qui vont bientôt patrouiller dans les rues. Surtout si ces chiffres ne sont pas expliqués et qu’ils n’ont pour seule fonction que de créer un traumatisme sur fond de méfiance circulaire et nourrie de tous bords.
Expliquer les chiffres, cela voudrait dire les contextualiser, les mettre en perspectives (historiques notamment), les comparer à d’autres… Un exemple : sans vouloir minimiser l’épidémie, il est intéressant de savoir que le nombre de morts faits par le COVID-19 en quatre mois (environ 30 000) est à peu près identique au nombre de personnes qui meurent de faim chaque jour. Ou que le paludisme cause encore plus de 450 000 décès chaque année. Sans qu’on ne s’alarme, dans ces deux cas, des mesures à mettre en place pour éviter pareilles hécatombes. Et que dire de cette information en boucle sur les Ehpad qui se confinent avec le personnel ? Il y a en France 610 000 décès chaque année (une personne toute les 50 secondes) dont 25 % en Ehpad. Les décès au sein des Ehpad représentent donc plus de 150 000 morts par an. Nous parler des décès en Ehpad, c’est nous les présenter comme un problème injuste et terrifiant. On se demande alors ce qu’est la représentation d’un Ehpad pour un chroniqueur de TF1 : une colonie de vacances ? Une thalassothérapie ? Ou un de ces mouroirs sans personnel vendu au privé, qu’on intègre de façon définitive mais dans lequel on vous garantit un placement à 11 % si vous achetez une chambre pour la louer aux résidents ? Pour rappel (car c’est aussi cela mettre les chiffres en perspectives), la moyenne d’âge des morts du coronavirus en France est de 81,2 ans ! Et si la mort du musicien Manu Dibango a suscité beaucoup d’émoi, précisons tout de même qu’il avait… 86 ans.
La télé gouvernementale nous montre en boucle l’hôpital de Mulhouse saturé, l’armée qui évacue des malades en avion vers Toulon. Les tentes de médecine de guerre… terrible ! Mais elle se garde bien de questionner les odieux petits soldats des ARS (Agences régionales de santé) qui ont vidé l’hôpital de tous ses moyens, de tous ses personnels, qui ont mis cent directeurs en démission administrative il y a deux mois, et qui font fonctionner le matériel hospitalier en flux tendus .. Traduirons-nous un jour les ARS devant les tribunaux pour mise en danger délibérée à grande échelle de la vie d’autrui ?
Et c’est probablement à la lecture des médias de gauche ou d’extrême gauche qu’on mesure la puissance de cette manipulation à grande échelle. C’est cela une union nationale : faire taire notre capacité critique, adhérer à l’autorité du pouvoir. La chaîne Youtube « Osons causer » qui, jusqu’à peu décryptait les différentes faces des politiques macronistes, est désormais réduite à répercuter les ordres gouvernementaux : « Restez chez vous ! ». Si nous voulons prendre des leçons de civisme, nous n’avons pas besoin d’ « Osons causer », nous avons déjà TF1 pour traiter quelques doux promeneurs de « délinquants des parcs ». Le philosophe Vladimir Jankelevitch écrivait : « Je serai toujours le gardien de tes droits et jamais le flic de tes devoirs ». Si « Osons causer » renonce à sa mission d’éducation populaire, la preuve est apportée que le test en grandeur nature de soumission des médias (y compris ceux censés critiquer l’ordre de la domination) fonctionne !
S’il est si dur pour des médias, quels qu’ils soient, d’échapper à ces logiques manipulatrices, s’ils épousent si facilement la logique du pouvoir, c’est que les conditions de fabrication de l’information les ont déjà rendus structurellement perméables à cette logique.
Et déjà, la place prise par les chaînes d’info en continu, avec sa conséquence : la course à l’information en « temps réel ». Temps réel ? Allons bon… Cela supposerait qu’existe un temps « irréel » ? Ne serait-ce pas justement ce temps qu’on nous vend pour du « réel » qui, en évacuant l’histoire et les processus d’émergence des phénomènes, constitue l’« irréel », un temps qui n’a pas de sens ? Dans ce monde-là, il faut occuper l’antenne et meubler les flux en permanence. Donc trouver du nouveau au fil des jours, au fil des heures… Heureusement, ce qu’il y a de nouveau, presque en permanence, ce sont les chiffres. Alors… bingo sur ces chiffres qui montent, qui viennent s’aligner de manière vertigineuse sur les écrans ! Chaque jour apporte son lot de « nouveau record », de « chiffre jamais atteint »… Puisqu’il s’agit d’une « pandémie » en plein essor, la probabilité que le nombre de nouveaux cas détectés ou de nouveaux décès à l’hôpital en 24 heures soit inférieur à celui de la veille est sans doute inférieure à 1 %, non ? Donc balancer cette info, ce n’est pas vraiment un scoop, on est d’accord ? Il y a d’ailleurs fort à parier que le journaliste qui l’a annoncée en martelant chaque mot sur un ton affolé, quand il rentre chez lui et retrouve son conjoint, il ne lui dit pas : « Tu sais, c’est incroyable : le chiffre a encore progressé ! ». Oui : il est probable que, dans sa vie privée, il reste quelqu’un d’à peu près censé. Mais quand il passe à l’antenne, il devient cet imbécile qui nous fait prendre des vessies pour des lanternes.
C’est que, sur les ondes, il faut sacrifier aux rites de la dramatisation. Pour « vendre » et faire du « buzz », il faut maintenir le « suspense », « feuilletonner » l’information, avec, si possible, un bon « casting » et de « bons clients ». Autant de termes venus des mondes de la fiction et du commerce et qui se sont progressivement imposés dans les rédactions. C’est ainsi que se construit et se reconstruit le thème de la « vague » épidémique qui va déferler (sans qu’on ne sache jamais pourquoi le « pic » est attendu à tel moment). Avec sa conséquence inéluctable, en gros titre à la « une » de l’Est Républicain du 23 mars : « Vers un inévitable durcissement du confinement » (quatre semaines plus tôt, de nombreux médias titraient sur le « recours inévitable au 49.3 » à propos de la réforme des retraites !). Prophétie auto-réalisatrice dans laquelle les médias oublient – ou feignent d’oublier – le rôle qu’ils jouent eux-mêmes.
Autre facteur structurant : la place prise dans les médias par un ballet d’experts où se succèdent hypothèses hâtives et contradictoires (sur les tests, le port de masques, l’efficacité du traitement par la chloroquine…), sans que les faux pronostics ne soient ensuite rectifiés et sans que l’on précise que « médecin » n’est pas un titre suffisant pour se qualifier d’expert en matière de COVID-19. Mais avec cette certitude auto-proclamée : les fake news, c’est l’affaire des réseaux sociaux ; l’information sérieuse et vérifiée, celle des médias main stream.
4 – La gouvernance « scientifique »
Dans un monde où les demandes de financement de la recherche publique sur les coronavirus sont restées lettre morte, où les multinationales de la pharmacie ont plus de pouvoirs que les États et où le vaccin de ce coronavirus engrangera des milliards de profits, qu’est-ce qu’un expert ? Qui sont les « scientifiques » qui « conseillent » un gouvernement entièrement dévoué aux multinationales ? (voir Monsanto-Macron, et les milliers de cancers liés au Roundup). Y aura-t-il des conflits d’intérêts ? Jupiter met ses pas dans ceux d’un « conseil scientifique », créé le 10 mars et invité à infléchir voire à dicter les décisions. Cette délégation de pouvoir à l’expertise « scientifique » présente de multiples dangers. Elle éteint toute contestation au nom de l’intérêt supérieur : elle gomme ce que nous, gesticulant·e·s et formateur·trice·s, militant·e·s de l’éducation populaire, avons appris et ne cessons de marteler : tout point de vue est nécessairement « situé », on ne parle toujours que de « quelque part », et avec une intention. Mais non : les experts, eux, échappent à cette condition humaine puisqu’ils parlent de nulle part et sans jamais aucune intention autre que de nous transmettre la vérité.
C’est dire à quel point cette délégation va faciliter le passage à une société de contrainte…
5 – Le COVID19, révélateur mais aussi accélérateur des inégalités
Isolement des plus vulnérables, exploitation des plus précaires, contamination des plus exposé.e.s, stigmatisation des classes populaires (car ce peuple que l’on doit confiner, c’est bien celui des classes populaires, celles qui pourraient désobéir, ces classes dangereuses…), entassement des plus pauvres dans des logements insalubres pendant que les bourgeois aisés des arrondissements parisiens fuient leur 200 m2 pour aller (exode sanitaire oblige !) se mettre au vert dans leur maison secondaire ou dans une villa louée pour l’occasion… cette crise sanitaire amplifie le développement des rapports de domination.
Regardons du côté de la condition des femmes. Par leur position dans la société, les femmes représentent indéniablement une classe fragilisée par cette crise sanitaire et le confinement que celle-ci impose. La situation des femmes victimes de violences conjugales est alarmante. Les chiffres actuels montrent une augmentation de 32 % des cas depuis le début du confinement. Des situations où la présence permanente du mari violent rend les demandes d’aide et les moyens de protection extrêmement difficiles. 210 000 femmes sont violentées par leur mari chaque année en France. Le confinement porte donc ce chiffre à (au moins) 300 000. Belle réussite du confinement ! Toujours dans la sphère de l’intime, l’accès à l’avortement est fragilisé, notamment pour les adolescentes qui n’ont plus de prétexte pour sortir de chez elles.
Et puisque, dans cette crise, c’est bien le monde du travail qui impose la marche à suivre, dans la sphère productive, l’exploitation des femmes se poursuit. Il y a les plus précaires, celles qui vivent sous le seuil de pauvreté, celles qui n’auront pas le choix d’accepter de travailler – quelles que soient les conditions sanitaires – pour pouvoir boucler la fin de mois. Il y a les femmes élevant seules leurs enfants, qui, faute d’école ou de nounou, subiront un chômage partiel qui les mettra à terre. À la fin de la crise, quelle sera la posture des banques envers ces femmes ?
On le sait : parmi le travail dédié aux femmes, celui du soin. Le 12 mars dernier, Macron demandait au personnel hospitalier de « continuer à faire des sacrifices ». La division sexuelle du travail à l’œuvre dans notre société fait reposer ce « sacrifice » sur une large majorité de femmes : 90 % de femmes chez les aides-soignantes, 87 % de femmes chez les infirmières… Les postes prestigieux, eux, sont occupés par des hommes. Avec la pénurie de matériel de protection, entre l’aide-soignante et le chirurgien, qui aura le masque ?
Le sacrifice se joue entre les classes sociales qui se côtoient à l’hôpital. Le sacrifice se joue entre les classes sociales tout court. Les femmes font partie des dominé·e·s, des exploité·e·s du système capitaliste, à qui l’on demande de continuer à faire marcher la machine économique à n’importe quel prix, et qui n’en obtiendront que du mépris (une prime de 1000 € ?) lorsque les puissants n’auront plus peur d’attraper la grippe.
6 – Le COVID19, arme de guerre… contre l’école
La mise en place de l’école à distance est une aubaine pour qui s’acharne à détruire le service public. C’est une véritable expérimentation grandeur nature pour terminer la privatisation de l’école rêvée par l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) et mise en œuvre par les ministres successifs depuis Luc Ferry.
Quoi de mieux que d’amener les enseignants à se penser comme des « facilitateurs pédagogiques » pour assurer la « continuité pédagogique » ? Le rêve ultime de l’idéologie libérale : l’enseignant·e est déchargé·e de toutes responsabilités éducatives, de tout désir de penser l’élève comme un être humain complet et complexe. L’enfant n’existe plus. Le sacro-saint programme construit autour des compétences n’a plus qu’à être digitalisé. Les enseignant·e·s deviennent des « intervenants à distance », pratiquant le « e-learning », surfant sur des plate-formes privées dont les contenus deviennent contrôlables et évaluables. Le contrôle : outil indispensable à la légitimité de la domination. Pour preuve ce mail envoyé ce jour, par une enseignante de maternelle, qui demande aux parents d’envoyer une photo de leur enfant en train de travailler : « Nous devons assurer la continuité pédagogique et l’inspection nous demande de vérifier qu’elle est bien mise en œuvre par les parents, sinon cela peut être considéré comme de l’absentéisme ». Pressions, contrôles et menaces… on y retrouve alors tous les ingrédients de la loi « pour la liberté de choisir son avenir professionnel », adoptée en 2018, qui permet d’imposer une « démarche qualité » à tous les organismes de formation. Calquée sur des procédures de rentabilité industrielle, la démarche qualité a réussi le tour de force de mettre tous les organismes de formation en concurrence, d’imposer un vocabulaire unique (celui de la langue de bois bien sûr), de récupérer tous les contenus pédagogiques, de dématérialiser au maximum en réduisant les liens humains au minimum. Une expérimentation grandeur nature de ce qui est déjà à l’œuvre dans l’éducation nationale !
Alors on peut toujours penser que l’école par internet, c’est juste provisoire, que non cette loi n’est pas une étape intermédiaire pour finir de faire de l’école le réservoir de main d’œuvre du capital au détriment d’un lieu où penser la société de demain… si seulement cette expérimentation n’était pas déjà dans les tuyaux depuis plus de trente ans : baisse du nombre de fonctionnaires, privatisation de l’enseignement supérieur, décentralisation favorisant le lien avec le marché du travail local, emploi de directeurs devenus des managers, suppressions massives des postes éducatifs et de soins dans les établissements (psychologues scolaires, assistants sociaux, éducateurs, infirmiers…), mise en concurrence des établissements par l’attaque du statut d’enseignant (précarisation du métier, CDD, contractuel·le·s) et les enseignements de spécialités avec la loi Blanquer… Les bases sont posées, affirmées, assumées… Comment être naïfs au point de penser que cette période ne sera qu’une parenthèse ?
Et le place des enf… des élèves pardon ! C’est simple : on remplace une heure de cours par une heure de travail personnel… La durée d’attention d’un élève en classe varie de 4 minutes en maternelle à 35 minutes par heure pour un adulte. Transformer alors une heure de cours en une heure de travail personnel, c’est multiplier l’exigence de productivité scolaire par deux au minimum pour les lycéens. De plus, cela ne tient pas compte de chaque élève. Là où l’enseignant·e va évaluer que, sur la classe d’âge concernée, le travail donné est faisable en une heure, la réalité sera que ce travail sera réalisé en 30 minutes par certains et en 1h30 par d’autres. Ajoutons à cela les conditions matérielles de chaque élève : chambre seule ou non, travail sur ordinateur ou sur smartphone, accès à une imprimante scanner ou pas, nombre de personnes dans la maison et en capacité d’aider scolairement ou pas… Sans oublier qu’actuellement, celles et ceux qui sont toujours au travail – et donc pas disponibles pour leurs enfants – sont les salarié·e·s les plus précaires : ouvrier·e·s, caissières, aides à domiciles …On voit bien à nouveau les réalités matérielles niées, on voit bien comment, au profit de la « continuité pédagogique », on enterre les enfants des classes populaires pour pouvoir applaudir les quelques autres à la fin du confinement… Bravo les enfants, vous voyez bien que c’était possible : quand on veut, on peut !
Les ultra-libéraux de l’Union européenne et de l’OCDE l’ont rêvé, le COVID-19 l’a fait : la dématérialisation complète et totale de l’éducation nationale. Les requins de l’ordre capitaliste lorgnent sur ce ce marché éducatif mondial à conquérir (estimé à 20 000 milliards de dollars, dont 7 000 milliards d’euros pour l’Europe). Le fruit est mûr pour privatiser le système éducatif… Il ne restera plus qu’à Hachette édition (propriété du groupe Lagardère) à nous vendre par millions les logiciels que cet enseignement à distance, assuré par des « uber-profs », nécessitera. Et que feront les parents ? Dans le marasme de l’offre proposée, dans ce climat de compétition acharnée, les familles paieront bien sûr, enfin celles qui le pourront ! Pour le plus grand bonheur de la Bourse. L’OCDE l’a dit : les perspectives de profit pour les investisseurs institutionnels sur le marché éducatif mondial sont de 1 à 7 quand elles ne sont que de 1 à 2 sur le marché de la construction automobile.
Et lorsqu’il faudra, une fois la mission éducative de l’éducation nationale piétinée, se charger de transmettre quelques « savoir-être » et « compétences relationnelles » aux enfants et adolescents, le marché du développement personnel viendra nous vendre sa came à grands coups de conférences, de cours de coaching et de slogans plus creux les uns que les autres : « Sois le monde que tu veux voir », « La confiance en soi est le premier secret du succès », etc. Comme l’a si bien montré Eva Illouz dans son livre Happycratie, le développement personnel est non seulement un marché juteux, mais surtout l’ami protecteur des dominants puisqu’il contribue à invisibiliser les rapports sociaux de domination (classe, race, genre) au profit d’un seul discours : « Tu as les ressources en toi pour t’en sortir », et autres outils de culpabilisation individuelle. Théorisée aux Etats-Unis, la « psychologie positive » est la condition de la domination capitaliste dans les entreprises et sur nos vies.
7 – COVID19 et droit du travail
Pendant qu’on nous invite à nous laver inlassablement les mains, le patronat, lui, se les frotte ! Emmanuel Macron est définitivement l’ami des grands patrons. Et voilà la loi d’urgence face à l’épidémie qui autorise le gouvernement à agir par ordonnances. Le texte 52 de ces dernières permet à l’employeur d’imposer une durée de travail hebdomadaire portée à 60 heures, le travail le dimanche, des dates imposées de congés payés…
Il est intéressant de comparer les intitulés de ces ordonnances. Ici : « Ordonnance portant mesures d’urgence en matière de congés payés, de durée du travail et de jours de repos » ; et là : « Ordonnance adaptant temporairement les conditions et modalités d’attribution de l’indemnité complémentaire » . Il n’est sans doute pas anodin de voir que, dans la seconde, apparaît le terme « temporairement », indication à laquelle Muriel Pénicaud s’est formellement opposée lorsqu’un amendement proposa de le faire figurer dans l’ordonnance « congés payés et autres… ». De là à penser que ces dérogations au code du travail soient destinées à perdurer…. Relance de l’économie oblige : 60 heures par semaine, réduction du repos quotidien de onze à neuf heures, soit quinze heures de travail-transport chaque jour ne font que nous renvoyer aux conditions de 1841, date de la première loi sur le travail. Cet « effort » qui va être imposé au monde du travail ne sera pas imposé à toutes les catégories sociales. Un amendement visant à relever le montant de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, faisant passer son taux de 3 % à 5 % des revenus supérieurs à 250 000 euros par an, a été sèchement rejeté.
Dans un tweet du 24 mars, Bruno Le Maire demande aux entreprises, notamment les plus grandes, « de faire preuve de la plus grande modération sur le versement de dividendes. C’est un moment où tout l’argent doit être employé pour faire tourner les entreprises ». Une simple demande donc, pas d’ordonnance ici pour contraindre le capital à participer à l’effort collectif alors même que les entreprises européennes s’apprêtent à verser 359 milliards d’euros à leurs actionnaires au titre des dividendes de l’année 2019. Pourtant, malgré ces chiffres exorbitants, l’État, pour pallier à la suspension partielle de l’économie, va soutenir ces mêmes entreprises en prenant en charge une partie des salaires, à travers les mesures de chômage partiel, ainsi qu’en suspendant les obligations fiscales et sociales de ces mêmes entreprises.
Au final, c’est bien aux travailleur·se·s que Macron s’en prend à nouveau pour « soutenir l’économie » en s’attaquant, non pas aux dettes sous lesquelles croulent les entreprises et dont il pourrait déclarer un moratoire, mais… aux cotisations sociales et aux impôts qu’elles versent, et au droit du travail.
Voulons-nous que la « guerre » menée par une classe dirigeante qui a montré son impréparation absolue à faire face à la pandémie – parce qu’elle a organisé le démembrement des services publics et de la production en France de biens de première nécessité – soit à nouveau l’occasion d’une union sacrée pour « sauver l’économie » en s’attaquant aux travailleur·se·s et en soutenant les prêteurs capitalistes, comme cela s’est fait en 2007 avec les beaux résultats que l’on sait ? Nous faisons depuis plus de dix ans l’expérience amère de la potion capitaliste que Macron veut à nouveau nous faire avaler alors que c’est elle qui nous a conduits à une impasse dont il prétend nous faire sortir en en rajoutant une louche. C’est assez !
Nous n’allons pas nous faire avoir à nouveau. Nous savons que nous ne pouvons attendre que le pire des « mobilisations générales » et de « l’union nationale » dans lesquelles nous enrôle la classe dirigeante sans nous demander notre avis, pour nous faire taire. Seule une mobilisation venue d’en-bas sera efficace contre le retour régulier de pandémies liées à une excessive division internationale du travail et à un rapport de plus en plus mortifère au vivant et à la nature dans la folle organisation capitaliste de la production.
La médiocrité de la réponse à la pandémie fait prendre conscience de l’absurdité de faire dépendre notre production de groupes capitalistes indifférents au maintien d’un tissu productif équilibré sur un territoire, qu’il soit régional ou national : les exemples d’entreprises neuves fermées alors qu’elles produisent des masques ou des bouteilles d’oxygène ont fait le tour des réseaux sociaux. Les travailleur·se·s (pas l’État !) doivent devenir propriétaires de tout outil de production de biens communs, les actionnaires doivent être évincés sans indemnisation, et les prêteurs non remboursés.
Autre prise de conscience : les ressources des personnes ne doivent pas dépendre de l’aléa de leur activité. Le confinement laisse nus tous les indépendants et génère un chômage partiel plein de trous qui vont notablement réduire les ressources d’employés du privé ou de contractuels de l’État. Alors que les fonctionnaires, eux, conservent leur salaire, qui est lié à leur grade et non à leur emploi. Seul le salaire lié à la personne (celui des fonctionnaires, celui des salariés à statut, celui des retraités… bref celui qu’attaquent avec détermination tous les gouvernements de l’Union européenne) nous permet de sortir de la forme capitaliste de la rémunération, qui la lie à la mesure d’activités aléatoires avec le filet de sécurité d’un revenu de base. Nos personnes doivent être libérées de cet aléa et reconnues, de 18 ans à la mort, par un salaire posé comme un droit politique et qu’il serait raisonnable d’inscrire dans une fourchette de 1 à 3. Chacun·e, à sa majorité, quels que soient son passé scolaire et son handicap, est doté·e du premier niveau de qualification, et donc des 1700 euros nets du Smic revendiqué, et peut, par des épreuves de qualification, progresser jusqu’à un salaire plafond de 5000 euros nets : au-delà, les rémunérations n’ont aucun sens. Droit politique de tout adulte vivant sur le territoire national, le salaire peut stagner, mais jamais diminuer ou être supprimé.
La propriété de tout l’outil par les travailleur·se·s et le salaire lié à la personne supposent une forte socialisation du PIB. Déjà, plus de la moitié est socialisée dans les impôts et cotisations sociales. Il faut aller encore plus loin. La valeur ajoutée des entreprises doit être affectée non plus à des rémunérations directes et à du profit, mais à des caisses gérées par les travailleur·se·s comme l’a été le régime général de 1947 à 1967. Elles verseront les salaires et subventionneront l’investissement, y compris par création monétaire. Alors nous pourrons libérer du capital nos vies et notre pays.
La survenue de l’épidémie de coronavirus a mis en évidence l’état de délabrement de l’hôpital public après quarante années de politiques libérales qui lui ont été imposées. Hasard du calendrier, cette épidémie a conduit le gouvernement à suspendre son projet de réforme des retraites. Maladie, vieillesse : deux branches de la sécurité sociale réunies par les événements.
Comme Ambroise Croizat et ses co-détenus au bagne de « Maison carrée » à Alger préparèrent un plan complet de sécurité sociale, mettrons-nous à profit cette période pour réfléchir aux revendications à porter dès la fin de la période de confinement ? Parmi celles-ci, une reconstruction de la sécurité sociale dans ses structures révolutionnaires de 1946, en revenant non seulement sur les exonérations de cotisations patronales, mais en revendiquant leur augmentation. Car c’est bien l’augmentation de ces cotisations qui permit à la sécurité sociale de subventionner la mise en place des Centres hospitaliers universitaires (CHU) au début de années 1960, transformant des mouroirs en usines de santé. Des plans de nationalisation de l’industrie pharmaceutique et de la recherche scientifique seraient également des revendications incontournables. Profiter de cette épidémie pour obtenir la reconquête de droits précédemment conquis représenterait en quelque sorte un renversement de la « stratégie du choc ».
« L’espoir, au contraire de ce que l’on croit, équivaut à la résignation. Et vivre, c’est ne pas se résigner. »
— Albert Camus, Noces
Les idées, disons-nous depuis des lustres, sont épidémiques. Elles circulent de tête en tête plus vite que l’électricité. Une idée qui s’empare des têtes devient une force matérielle, telle l’eau qui active la roue du moulin. Il est urgent pour nous, Chimpanzés du futur, écologistes, c’est-à-dire anti-industriels et ennemis de la machination, de renforcer la charge virale de quelques idées mises en circulation ces deux dernières décennies. Pour servir à ce que pourra.
1) Les « maladies émergentes » sont les maladies de la société industrielle et de sa guerre au vivant
La société industrielle, en détruisant nos conditions de vie naturelles, a produit ce que les médecins nomment à propos les « maladies de civilisation ». Cancer, obésité, diabète, maladies cardio-vasculaires et neuro-dégénératives pour l’essentiel. Les humains de l’ère industrielle meurent de sédentarité, de malbouffe et de pollution, quand leurs ancêtres paysans et artisans succombaient aux maladies infectieuses.
C’est pourtant un virus qui confine chez lui un terrien sur sept en ce printemps 2020, suivant un réflexe hérité des heures les plus sombres de la peste et du choléra.
Outre les plus vieux d’entre nous, le virus tue surtout les victimes des « maladies de civilisation ». Non seulement l’industrie produit de nouveaux fléaux, mais elle affaiblit notre résistance aux anciens. On parle de « comorbidité », comme de « coworking » et de « covoiturage », ces fertilisations croisées dont l’industrie a le secret [1].
« “Les patients souffrant de maladies cardiaques et pulmonaires chroniques causées ou aggravées par une exposition sur le long terme de la pollution de l’air sont moins capables de lutter contre les infections pulmonaires, et plus susceptibles de mourir”, alerte Sara De Matteis, professeur en médecine du travail et de l’environnement à l’Université de Cagliari en Italie. C’est principalement dans les grandes villes que les habitants seraient les plus exposés à ce risque[2]. »
Encore plus efficace : la Société italienne de médecine environnementale a découvert un lien entre les taux de contamination au Covid 19 et ceux des particules fines dans l’air des régions les plus touchées d’Italie. Fait déjà constaté pour la grippe aviaire. Selon Gianluigi de Gennaro, de l’Université de Bologne,
« Les poussières transportent le virus. [Elles] agissent comme porteurs. Plus il y en a, plus on crée des autoroutes pour les contagions[3]. »
Quant au virus lui-même, il participe de ces « maladies émergentes » produites par les ravages de l’exploitation industrielle du monde et par la surpopulation. Les humains ayant défriché toute la terre, il est naturel que 75 % de leurs nouvelles maladies soient zoonotiques, c’est-à-dire transmises par les animaux, et que le nombre de ces zoonoses ait quadruplé depuis 50 ans[4]. Ebola, le SRAS, la grippe H5N1, le VIH, le Covid-19 et tant d’autres virus animaux devenus mortellement humains par le saccage des milieux naturels, la mondialisation des échanges, les concentrations urbaines, l’effondrement de la biodiversité.
La sédentarisation d’une partie de l’espèce humaine et la domestication des animaux avaient permis la transmission d’agents infectieux des animaux aux hommes. Cette transmission s’est amplifiée avec l’élevage industriel, le braconnage, le trafic d’animaux sauvages et la création des parcs animaliers.
La déforestation, les grands travaux, l’irrigation, le tourisme de masse, l’urbanisation, détruisent l’habitat de la faune sauvage et rabattent mécaniquement celle-ci vers les zones d’habitat humain. Ce ne sont pas le loup et la chauve-souris qui envahissent les villes, mais les villes qui envahissent le loup et la chauve-souris.
La société industrielle nous entasse. Dans les métropoles, où les flux et les stocks d’habitants sont régulés par la machinerie cybernétique. La métropole, organisation rationnelle de l’espace social, doit devenir, selon les plans des technocrates, l’habitat de 70 % des humains d’ici 2050. Leur technotope. Ville-machine pour l’élevage industriel des hommes-machines [5].
Entassés sur la terre entière, nous piétinons les territoires des grands singes, des chauves-souris, des oies sauvages, des pangolins. Promiscuité idéale pour les contagions (du latin tangere : toucher). Sans oublier le chaos climatique. Si vous craignez les virus, attendez que fonde le permafrost.
Faut-il le rappeler ? L’humain, animal politique, dépend pour sa survie de son biotope naturel et culturel (sauf ceux qui croient que « la nature n’existe pas » et qui se pensent de pures (auto)constructions, sûrement immunisées contre les maladies zoonotiques). La société industrielle prospère sur une superstition : on pourrait détruire le biotope sans affecter l’animal. Deux cents ans de guerre au vivant[6] [plusieurs milliers d’années, en réalité, NdE] ont stérilisé les sols, vidé forêts, savanes et océans, infecté l’air et l’eau, artificialisé l’alimentation et l’environnement naturel, dévitalisé les hommes. Le progrès sans merci des nécrotechnologies nous laisse une Terre rongée à l’os pour une population de 7 milliards d’habitants. Le virus n’est pas la cause, mais la conséquence de la maladie industrielle.
Mieux vaut prévenir que guérir. Si l’on veut éviter de pires pandémies, il faut sortir de la société industrielle. Rendre son espace à la vie sauvage — ce qu’il en reste —, arrêter l’empoisonnement du milieu et devenir des Chimpanzés du futur : des humains qui de peu font au mieux.
2) La technologie est la continuation de la guerre — de la politique — par d’autres moyens. La société de contrainte, nous y entrons.
Nul moins que nous ne peut se dire surpris de ce qui arrive. Nous l’avions prédit, nous et quelques autres, les catastrophistes, les oiseaux de mauvais augure, les Cassandre, les prophètes de malheur, en 2009, dans un livre intitulé À la recherche du nouvel ennemi. 2001–2025 : rudiments d’histoire contemporaine :
« Du mot “crise” découlent étymologiquement le crible, le crime, l’excrément, la discrimination, la critique et, bien sûr, l’hypocrisie, cette faculté d’interprétation. La crise est ce moment où, sous le coup de la catastrophe — littéralement du retournement (épidémie, famine, séisme, intempérie, invasion, accident, discorde) —, la société mise sens dessus dessous retourne au chaos, à l’indifférenciation, à la décomposition, à la violence de tous contre tous (René Girard, La Violence et le Sacré, Le Bouc émissaire, et toute la théorie mimétique). Le corps social malade, il faut purger et saigner, détruire les agents morbides qui l’infectent et le laissent sans défense face aux agressions et calamités. La crise est ce moment d’inquisition, de détection et de diagnostic, où chacun cherche sur autrui le mauvais signe qui dénonce le porteur du maléfice contagieux, tremblant qu’on ne le découvre sur lui et tâchant de se faire des alliés, d’être du plus grand nombre, d’être comme tout le monde. Tout le monde veut être comme tout le monde. Ce n’est vraiment pas le moment de se distinguer ou de se rendre intéressant. […]
Et parmi les plus annoncées dans les années à venir, la pandémie, qui mobilise aussi bien la bureaucratie mondiale de la santé, que l’armée et les autorités des mégalopoles. Nœuds de communication et foyers d’incubation, celles-ci favorisent la diffusion volontaire ou accidentelle de la dengue, du chikungunya, du SRAS, ou de la dernière version de la grippe, espagnole, aviaire, mexicoporcine, etc. […] Bien entendu, cette “crise sanitaire” procède d’une “crise de civilisation”, comme on dit “maladie de civilisation”, inconcevable sans une certaine monstruosité sociale et urbaine, sans industrie, notamment agroalimentaire et des transports aériens. […]
On voit l’avantage que le pouvoir et ses agents Verts tirent de leur gestion des crises, bien plus que de leur solution. Celles-ci, après avoir assuré pléthore de postes et de missions d’experts aux technarques et aux gestionnaires du désastre, justifient désormais, dans le chaos annoncé de l’effondrement écologique, leur emprise totale et durable sur nos vies. Comme l’État et sa police sont indispensables à la survie en monde nucléarisé, l’ordre vert et ses technologies de contrôle, de surveillance et de contrainte sont nécessaires à notre adaptation au monde sous cloche artificiel. Quant aux mauvais Terriens qui — défaillance ou malfaisance — compromettent ce nouveau bond en avant du Progrès, ils constituent la nouvelle menace pour la sécurité globale[7]. »
Au risque de se répéter : avant, on n’en est pas là ; après, on n’en est plus là. Avant, on ne peut pas dire ça. Après, ça va sans dire.
L’ordre sanitaire offre une répétition générale, un prototype à l’ordre Vert. La guerre est déclarée, annonce le président Macron. La guerre, et plus encore la guerre totale, théorisée en 1935 par Ludendorff, exige une mobilisation totale des ressources sous une direction centralisée. Elle est l’occasion d’accélérer les processus de rationalisation et de pilotage des sans-pouvoir, au nom du primat de l’efficacité. Rien n’est plus rationnel ni plus voué à l’efficacité que la technologie. Le confinement doit être hermétique, et nous avons les moyens de le faire respecter.
Drones de surveillance en Chine et dans la campagne picarde ; géolocalisation et contrôle vidéo des contaminés à Singapour ; analyse des données numériques et des conversations par l’intelligence artificielle pour tracer les contacts, déplacements et activités des suspects en Israël[8]. Une équipe du Big Data Institute de l’université d’Oxford développe une application pour smartphone qui géolocalise en permanence son propriétaire et l’avertit en cas de contact avec un porteur du virus. Selon leur degré de proximité, l’application ordonne le confinement total ou la simple distance de sécurité, et donne des indications aux autorités pour désinfecter les lieux fréquentés par le contaminé[9].
« Les données personnelles, notamment les données des opérateurs téléphoniques, sont aussi utilisées pour s’assurer du respect des mesures de quarantaine, comme en Corée du Sud ou à Taïwan. C’est aussi le cas en Italie, où les autorités reçoivent des données des opérateurs téléphoniques, ont expliqué ces derniers jours deux responsables sanitaires de la région de Lombardie. Le gouvernement britannique a également obtenu ce type d’information de la part d’un des principaux opérateurs téléphoniques du pays[10]. »
En France, Jean-François Delfraissy, le président du Comité consultatif national d’éthique et du « conseil scientifique » chargé de la crise du coronavirus évoque l’éventualité du traçage électronique au détour d’un entretien radiophonique.
« La guerre est donc un acte de violence destiné à contraindre l’adversaire à exécuter notre volonté. » Ceux-là même qui n’ont pas lu Clausewitz, savent aujourd’hui que la technologie est la continuation de la guerre par d’autres moyens. La pandémie est le laboratoire du technototalitarisme, ce que les opportunistes technocrates ont bien compris. On ne rechigne pas en période d’accident nucléaire ou d’épidémie. La technocratie nous empoisonne puis elle nous contraint, au motif de nous protéger de ses propres méfaits.
Nous le disons depuis quinze ans : « La société de contrôle, nous l’avons dépassée ; la société de surveillance, nous y sommes ; la société de contrainte, nous y entrons. »
Ceux qui ne renoncent pas à l’effort d’être libres reconnaîtront avec nous que le progrès technologique est l’inverse et l’ennemi du progrès social et humain.
3) Les experts aux commandes de l’état d’urgence : le pouvoir aux pyromanes pompiers.
Nous ayant conduit à la catastrophe, les experts de la technocratie prétendent nous en sauver, au nom de leur expertise techno-scientifique. Il n’existe qu’une seule meilleure solution technique, ce qui épargne de vains débats politiques. « Écoutez les scientifiques ! » couine Greta Thunberg. C’est à quoi sert l’état d’urgence sanitaire et le gouvernement par ordonnances : à obéir aux « recommandations » du « conseil scientifique » et de son président Jean-François Delfraissy.
Ce conseil créé le 10 mars par Olivier Véran[11], à la demande du président Macron, réunit des experts en épidémiologie, infectiologie, virologie, réanimation, modélisation mathématique, sociologie et anthropologie. Les prétendues « sciences humaines » étant comme d’habitude chargées d’évaluer l’acceptabilité des décisions techniques — en l’occurrence la contrainte au nom de l’intérêt supérieur de la santé publique.
Excellent choix que celui de Delfraissy, un homme qui vit avec son temps, ainsi que nous l’avons découvert à l’occasion des débats sur la loi de bioéthique :
« Il y a des innovations technologiques qui sont si importantes qu’elles s’imposent à nous. […] Il y a une science qui bouge, que l’on n’arrêtera pas.[12] »
Ces cinquante dernières années en effet, les innovations techno-scientifiques se sont imposées à nous à une vitesse et avec une violence inégalées. Inventaire non exhaustif : nucléarisation de la planète ; OGM et biologie synthétique ; pesticides, plastiques et dérivés de l’industrie chimique ; nanotechnologies ; reproduction artificielle et manipulations génétiques ; numérisation de la vie ; robotique ; neurotechnologies ; intelligence artificielle ; géo-ingénierie.
Ces innovations, cette « science qui bouge », ont bouleversé le monde et nos vies pour produire la catastrophe écologique, sociale et humaine en cours et dont les progrès s’annoncent fulgurants. Elles vont continuer leurs méfaits grâce aux 5 milliards d’euros que l’État vient de leur allouer à la faveur de la pandémie, un effort sans précédent depuis 1945. Tout le monde ne mourra pas du virus. Certains en vivront bien.
On ignore quelle part de ces 5 milliards ira par exemple aux laboratoires de biologie de synthèse, comme celui du Génopole d’Évry. La biologie de synthèse, voilà une « innovation si importante qu’elle s’impose à nous ». Grâce à elle, et à sa capacité à fabriquer artificiellement des organismes vivants, les scientifiques ont recréé le virus de la grippe espagnole qui tua plus que la Grande Guerre en 1918 [13].
Destruction/réparation : à tous les coups les pyromanes pompiers gagnent. Leur volonté de puissance et leur pouvoir d’agir ont assez ravagé notre seule Terre. Si nous voulons arrêter l’incendie, retirons les allumettes de leurs mains, cessons de nous en remettre aux experts du système techno-industriel, reprenons la direction de notre vie.
4) L’incarcération de l’homme-machine dans le monde-machine. L’effet cliquet de la vie sans contact.
Le contact, c’est la contagion. L’épidémie est l’occasion rêvée de nous faire basculer dans la vie sous commande numérique. Il ne manquait pas grand-chose, les terriens étant désormais tous greffés de prothèses électroniques. Quant aux attardés, ils réduisent à toute allure leur fracture numérique ces jours-ci, afin de survivre dans le monde-machine contaminé :
« Les ventes d’ordinateurs s’envolent avec le confinement. […] Tous les produits sont demandés, des équipements pour des vidéoconférences à l’ordinateur haut de gamme pour télétravailler en passant par la tablette ou le PC à petit prix pour équiper un enfant. Les ventes d’imprimantes progressent aussi. Les Français qui en ont les moyens financiers sont en train de reconstituer leur environnement de travail à la maison [14]. »
Nous serions bien ingrats de critiquer la numérisation de nos vies, en ces heures où la vie tient au sans fil et au sans contact. Télétravail, téléconsultations médicales, commandes des produits de survie sur Internet, cyber-école, cyber-conseils pour la vie sous cloche — « Comment occuper vos enfants ? », « Que manger ? », « “Tuto confinement” avec l’astronaute Thomas Pesquet », « Organisez un Skypéro », « Dix séries pour se changer les idées », « Faut-il rester en jogging ? ». Grâce à WhatsApp, « “Je ne me suis jamais sentie aussi proche de mes amis”, constate Valeria, 29 ans, chef de projet en intelligence artificielle à Paris[15] ».
Dans la guerre contre le virus, c’est la Machine qui gagne. Mère Machine nous maintient en vie et s’occupe de nous. Quel coup d’accélérateur pour la « planète intelligente » et ses smart cities[16]. L’épidémie passée, quelles bonnes habitudes auront été prises, que les Smartiens ne perdront plus. Ainsi, passés les bugs et la période d’adaptation, l’école à distance aura fait ses preuves. Idem pour la télémédecine qui remplacera les médecins dans les déserts médicaux comme elle le fait en ces temps de saturation hospitalière. La « machinerie générale » (Marx) du monde-machine est en train de roder ses procédures dans une expérience à l’échelle du laboratoire planétaire.
Rien pour inquiéter la gauche et ses haut-parleurs. Les plus extrêmes, d’Attac à Lundi matin, en sont encore à conspuer le capitalisme, le néolibéralisme, la casse des services publics et le manque de moyens. Une autre épidémie est possible, avec des masques et des soignants bien payés, et rien ne serait arrivé si l’industrie automobile, les usines chimiques, les multinationales informatiques avaient été gérées collectivement, suivant les principes de la planification démocratique assistée par ordinateur.
Nous avons besoin de masques et de soignants bien payés. Nous avons surtout besoin de regarder en face l’emballement du système industriel, et de combattre l’aveuglement forcené des industrialistes.
Nous, anti-industriels, c’est-à-dire écologistes conséquents, avons toujours été minoritaires. Salut à Giono, Mumford, Ellul & Charbonneau, Orwell et Arendt, Camus, Saint Exupéry, et à quelques autres qui avaient tout vu, tout dit. Et qui nous aident à penser ce qui nous arrive aujourd’hui.
Puisque nous avons du temps et du silence, lisons et méditons. Au cas où il nous viendrait une issue de secours.
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[1] Rappel : la pollution de l’air tue chaque année 48 000 Français et plus de 100 Grenoblois.
[2] http://www.actu-environnement.com, 20/03/20
[3] Idem
[4] Revues Nature et Science, citées par Wikipedia.
[5] Cf. Retour à Grenopolis, Pièces et main d’œuvre, mars 2020, http://www.piecesetmaindoeuvre.com
[6] Cf. J.-P. Berlan, La guerre au vivant, Agone, 2001.
[7] Pièces et main d’œuvre, À la recherche du nouvel ennemi. 2001–2025 : rudiments d’histoire contemporaine, Editions L’Echappée, 2009.
[8]« Israel approves mass surveillance to fight coronavirus », https://www.ynetnews.com, 17/03/20
[9] https://www.bdi.ox.ac.uk/news/infectious-disease-experts-provide
[10] Le Monde, 20/03/20
[11] Le nouveau ministre de la Santé est un médecin grenoblois, député LREM aorès avoir été suppléant de la socialiste Geneviève Fioraso, ex-ministre de la Recherche. Selon Le Monde, « un ambitieux “inconnu” » qui « sait se placer » (lemonde.fr, 23/03/20).
[12] Jean-François Delfraissy, entretien avec Valeurs actuelles, 3/03/18.
[13] Virus recréé en 2005 par l’équipe du Professeur Jeffrey Taubenberger de l’Institut de pathologie de l’armée américaine, ainsi que par des chercheurs de l’université Stony Brook de New York.
[14] http://www.lefigaro.fr, 19/03/20.
[15] Le Monde, 19/03/20.
[16] Cf. « Ville machine, société de contrainte », Pièces et main d’œuvre, in Kairos, mars 2020 et sur http://www.piecesetmaindoeuvre.com