« Il n’y a ni bon ni mauvais usage de la liberté d’expression, il n’en existe qu’un usage insuffisant. »
« Rien n’est sacré. Chacun a le droit d’exprimer et de professer à titre personnel n’importe quelle opinion, n’importe quelle idéologie, n’importe quelle religion.
Aucune idée n’est irrecevable, même la plus aberrante, même la plus odieuse.
Aucune idée, aucun propos, aucune croyance ne doivent échapper à la critique, à la dérision, au ridicule, à l’humour, à la parodie, à la caricature, à la contrefaçon. « Je le répéterai sur tous les tons, écrivait déjà Georges Bataille, le monde n’est habitable qu’à la condition que rien n’y soit respecté. » Et Scutenaire : « Il est des choses avec lesquelles on ne plaisante pas. Pas assez ! »
Ce qui sacralise tue. L’exécration naît de l’adoration. Sacralisés, l’enfant est un tyran, la femme un objet, la vie une abstraction désincarnée.
Quiconque s’érige en messie, prophète, pape, imam, pope, rabbin, pasteur et autre gourou a le droit de crier au blasphème, à l’anathème, à l’apostasie, dès l’instant que l’on persifle son dogme, sa croyance, sa foi, mais qu’il ne s’avise pas de susciter une interdiction judiciaire à l’encontre des opinions qu’il exècre ni d’en vouloir interrompre la diffusion en menaçant leur auteur selon des méthodes d’Inquisition, de charia ou de mafia, que le sens humain révoque à jamais. »
« La pire façon de condamner certaines idées est de les imputer à un crime. Un crime est un crime et une opinion n’est pas un crime, quelque influence qu’on lui impute. Interdire un propos sous le prétexte qu’il peut être nocif ou choquant, c’est mépriser ceux qui le reçoivent et les supposer inaptes à le rejeter comme aberrant ou ignoble. C’est en fait, selon la méthode du clientélisme politique et consumériste, les persuader implicitement qu’ils ont besoin d’un guide, d’un gourou, d’un maître. »
« Il ne faut pas se tromper d’ennemi : ce qui est odieux n’est pas la parole dérangeante, en quelque sens que ce soit, c’est son asservissement au profit qui la manipule. »
« Aucune vérité ne mérite que l’on s’agenouille devant elle. Tout être humain a le droit de critiquer et de contredire ce qui paraît le plus assuré ou passe pour une évidence scientifiquement établie. Les spéculations les plus folles, les assertions les plus délirantes ensemencent à leur manière le champ des vérités futures et empêchent d’ériger en autorité absolue les vérités d’une époque. »
« Une vérité imposée s’interdit humainement d’être vraie. Toute idée reçue pour éternelle et incorruptible exhale l’odeur fétide de Dieu et de la tyrannie. »
« Accepter que tout soit dit, que rien ne soit passé sous silence, c’est apprendre, dans le même temps, à démêler, à sélectionner, à décrypter, à critiquer, à ne pas tomber en dépendance d’une mise en scène spectaculaire où les factions interchangeables du bien et du mal obéissent aux manipulations des lobbies internationaux. »
Raoul Vaneigem (Rien n’est sacré, tout peut se dire -Réflexions sur la liberté d’expression)