Publié dans Articles, signé réveil-mutin

Le terrorisme, ce n’est pas vraiment ce que vous croyez

blog -masques vénitiens

Cette démocratie si parfaite fabrique elle-même son inconcevable ennemi, le terrorisme. Elle veut, en effet, être jugée sur ses ennemis plutôt que sur ses résultats. L’histoire du terrorisme est écrite par l’État ; elle est donc éducative. Les populations spectatrices ne peuvent certes pas tout savoir du terrorisme, mais elles peuvent toujours en savoir assez pour être persuadées que, par rapport à ce terrorisme, tout le reste devra leur sembler plutôt acceptable, en tout cas plus rationnel et plus démocratique. (Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, 1988)

Alors, vous attendez quoi pour avoir peur ?

Que vous ayez peur, c’est tout ce qu’on vous demande. C’est quand même bien pratique, la peur. Quand on a peur, on ne pense plus, on ne réfléchit plus. Quand on a peur, on peut nous imposer n’importe quoi qui pourrait nous rassurer. Quand on a peur, il n’existe plus d’autres problèmes, aussi graves soient-ils, que celui qui nous a mis dans cet état.

La peur soumet. La peur divertit. L’organiser est donc un élément essentiel de tout pouvoir.

Pauvres petits naïfs qui croyez encore que nous autres, honorables gouvernements, combattons le terrorisme, alors que nous en sommes les partisans les plus acharnés.

Gouverner, c’est terroriser. Et cela fait des siècles que cela dure : nous ne faisons aujourd’hui que nous perfectionner, grâce à l’évolution des techniques.

Et vous, vous continuez à croire que les terroristes ce sont uniquement des méchants barbus plus ou moins liés à Al-Qaïda qui veulent vous empêcher de vivre votre si belle vie d’Occidental. D’ailleurs, ces énergumènes n’existeraient pas sans toutes nos bienveillantes guerres et ingérences, sans toutes les nécessaires injustices que nous suscitons partout. Ce sont véritablement nos créatures et en même temps nos meilleurs soldats. Leur rôle ultime : nous faire passer à vos yeux pour des remparts face à la barbarie, et ainsi légitimer le renforcement de notre emprise sur vos vies.

Nous ne saurions nous passer de « terroristes ». Ils sont notre drogue, notre nourriture. Au point, parfois, d’en inventer de toutes pièces. Nous pouvons ainsi faire passer des contestataires conséquents – des gens que nous n’arrivons précisément plus à terroriser – en terroristes, méthode ultime de disqualification et d’intimidation – les « de Tarnac » en savent quelque chose. Rien de très difficile pour nous qui sommes rompus à vous faire prendre des vessies pour des lanternes, à fabriquer ce que vous devez considérer comme réel. Nous avons toujours un ennemi, un bouc émissaire dans nos cartons à vous présenter le jour venu. Pour que vous puissiez fixer votre attention et votre énergie de mécontentement et de protestation dans des directions aussi futiles que stériles. Pour que vous vous rangiez toujours plus docilement derrière notre bannière. Pour que vous nous fassiez toujours plus confiance.

Vous avez cru par exemple que Oussama Ben Laden était notre ennemi, alors que sans son attentat-spectacle en mondovision du 11 septembre 2001 nous aurions eu bien du mal à justifier nos guerres de prédation d’Afghanistan et d’Irak, et à imposer un tel accroissement des dispositifs de surveillance, partout aux Etats-Unis et en Europe, qui sont autant de d’atteintes nouvelles à ce qui vous restait jusqu’ici de liberté.

Vous croyez aussi que ces « terroristes », au Mali, ce sont nos ennemis alors qu’on a terriblement besoin d’eux, à la fois pour justifier notre intervention militaire et en cacher les vrais buts (maintenir, renforcer et étendre le pillage des ressources de cette région), mais aussi – « menace terroriste » subséquente oblige – pour détourner l’attention des Français de problèmes sociaux gigantesques sur lesquels nous devons bien cacher notre mépris le plus entier.

Il n’y a pas d’attentats, il n’y a que des profits.

Le terrorisme a toujours été ni plus ni moins qu’une affaire d’Etat-s. Non seulement parce que les États sont les grands bénéficiaires des activités présentées comme terroristes. Mais aussi et surtout parce que l’Etat dans sa structure même est le plus vaste et le plus complet appareil de Terreur qui puisse exister. La police, l’armée et les multiples services de renseignements (« Le terrorisme, il y a quand même plus de gens qui en vivent que de gens qui en meurent », aime-t-on rappeler avec légèreté à la DCRI) en forment le noyau dur. Auxquels il faut ajouter la dénommée « justice », mais aussi toute notre cohorte de chiens de garde politiques et médiatiques, d’éducateurs, de travailleurs sociaux et autres larbins dont le rôle est de vous rendre légitime et bienveillant cet appareil de Terreur ainsi que l’ordre économique et social qu’il défend.

Notre appareil de Terreur n’a bien évidemment pas vocation à vous défendre contre de méchants « terroristes » et autres barbares. Ce n’est rien d’autre qu’un prétexte, qu’une justification. De toute manière, les pires des barbares, ce sont nous, nous qui commanditons et cautionnons en toute impunité des assassinats, des guerres et des pillages à travers le monde. Nous pouvons tout nous permettre, nous, la société anonyme à irresponsabilité illimitée, puisque ce sont nous qui faisons la loi et décidons de ce qui est bien ou mal. Qu’importe ce que nous faisons, nous vous avons appris à ne vous indigner que pour les méfaits de ceux qui ont le culot de nous imiter et de nous défier. Tout au plus quelques-uns de nos plus dérisoires méfaits sont ouverts à l’indignation générale, transformés en aussi exceptionnelles que malencontreuses bavures, pour mieux cacher les plus terribles de nos méfaits, pour mieux en cacher le caractère absolument ordinaire.

La vocation réelle de notre appareil de Terreur est de vous imposer notre bienveillante volonté. De vous rendre toujours plus docile à nos projets bienveillants.

Autrement dit: de vous faire la guerre.

La seule guerre jamais menée est celle que nous vous menons – celle que l’Etat mène à ses « administrés ». Et, assurément, la pseudo-guerre au terrorisme entamée il y a un peu plus de dix ans n’est qu’un prodigieux prétexte pour intensifier cette guerre.

Vous êtes notre seul et unique ennemi.

L’Etat ne sert et n’a jamais servi ceux qu’il prétend servir : ses « administrés ». Il n’est rien qu’une machine de guerre chargée précisément de soumettre toujours davantage cette majorité d' »administrés » à une minorité puissante et à ses volontés. L’Etat, c’est la guerre maquillée en paix. L’Etat de siège travesti en Etat de droit. La violence banalisée et institutionnalisée. L’Etat, c’est le complot permanent. Le moyen, le produit et le nom de ce complot.  

Et vous persistez pourtant à le prendre pour votre meilleur ami, votre plus dévoué protecteur. Vous vous rabaissez même à réclamer « plus d’État » face à ces banques, face à ces multinationales, sans jamais vous apercevoir que votre Etat préféré est par principe à ses côtés, qu’ils forment avec lui une seule et même coterie – imbue de cette prétention intrinsèquement violente et guerrière de gouverner la vie de son prochain -, et qu’il serait bien vain de vouloir les distinguer et les opposer. Etats, banques ou multinationales, ses Dieux sont les mêmes : Efficacité et Profit, pour la gloire desquels on exige de vous que vous vous conformiez, que vous vous adaptiez, que vous vous sacrifiez. L’Etat n’est pas une arme neutre que l’on pourrait retourner contre ses propriétaires pour œuvrer à l’émancipation de cette masse qu’elle opprimait jusque-là. L’existence de cette arme, sa conservation dans quelques mains que ce soient, implique nécessairement un rapport social violent. L’Etat est exclusivement au service de la force. L’Etat n’existe que pour dominer et opprimer.

L’Etat, c’est la réalité concrète de votre défaite. Le camp des vainqueurs. Le camp de prisonniers des vaincus.

La Terreur que nous vous infligeons, vous l’avez, pour une grande majorité d’entre vous, admirablement intériorisée. Elle a tant de facettes et s’est si bien nichée en vous et dans toutes les parcelles de vos existences que vous ne sauriez encore la percevoir dans toute sa totalité.

Le terrorisme, ce n’est pas seulement vous effrayer, via notre propagande, avec des « barbares » venus du bout de monde ou du fin fond d’une cité prêts à se faire sauter dans la prochaine rame de métro.

C’est aussi façonner un climat de peur avec tout ce qu’une société peut produire et que nous montons complaisamment en épingle. Ainsi la fameuse « insécurité » et tout son cortège glaçant de racailles, de gangsters aussi basanés que cruels, de tueurs en série, de violeurs, de pédophiles, etc. Ainsi les risques liés à la transmission de maladies mortelles, comme l’a montré l’audacieuse campagne de terreur autour du H1N1 en 2009-2010. Autant de menaces et d’ennemis plus ou moins imaginaires chargés là encore de vous faire tenir tranquille, de vous faire accepter toutes les mesures liberticides prises pour votre bien.

Le terrorisme, ce n’est pas seulement vous effrayer avec notre police, notre armée, notre arsenal législatif, nos prisons, pour vous dissuader tout à fait ouvertement de marcher en dehors des clous.

C’est aussi la Terreur insidieuse de ces multiples instruments de contrôle et de surveillance qui, sous leurs masques bienveillants, intensifient la terreur « classique » en vous plaçant en une perpétuelle garde à vue : de la tenue de fichiers transformant tout citoyen en suspect aux innocentes activités de services sociaux qui s’immiscent dans vos vies pour votre bien. Il faut souligner dans ce cadre le rôle central de l’École, cette si chère École, qui vous a appris à vous soumettre, à dépendre en toute chose de l’Etat, et qui a si rétrécit votre horizon mental que l’idée même de vivre sans lui vous effraie. De manière générale, c’est aussi une Terreur qui tourne à l’affectif, en produisant en vous la peur non pas seulement de trahir mais aussi de ne pas être tout simplement à la hauteur de cet Etat-maman qui a été si présent et qui a tant fait pour vous.

Le terrorisme, ce n’est pas seulement vous menacer de courir à la mort, de croupir en prison, de subir des mutilations physiques, d’être séparé de vos proches ou de vos biens. Le terrorisme c’est peut-être aussi tout simplement, l’air de rien, exciter en vous la peur ancestrale de manquer à manger, d’être plongé dans l’odieuse misère. La force de cette Terreur-là, c’est que vous la prenez, plus qu’aucune autre, pour une innocente fatalité, alors que c’est une insécurité sciemment organisée par la société marchande et ses infaillibles défenseurs que nous sommes pour vous obliger à mener une vie conforme à ses principes. Ainsi vous contraint-elle à accepter d’entrer sans discussion sur le marché du travail et à mendier énergiquement pour pouvoir occuper n’importe quel emploi, qu’il soit précaire, avilissant, absurde, nuisible. Et ainsi, au bout du compte, vous cautionnez cette société-là, vous acceptez de n’avoir aucun mot à dire sur ce qu’elle produit, quand bien même vous vous plaindriez au travers de si dérisoires compétitions électorales. Vous détestez peut-être cette société mais vous y participez. Car « il faut bien gagner sa vie », dites-vous, surtout quand il faut combler de plus en plus de faux besoins, cette con-sommation que vous prenez, elle aussi, comme allant de soi. Tous nos larbins étatiques se font un devoir et un honneur de vous rentrer dans la tête cette évidence : il n’y a pas d’autres choix que de s’intégrer à cette société.

Quand nous prétendons combattre le chômage, comme lorsque nous prétendons combattre ledit « terrorisme », c’est le même malentendu qui est à l’œuvre : nous prétendons combattre ce que, en réalité, nous encourageons fermement, pour vous faire peur et donc vous faire tenir tranquille. Quiconque ne veut pas jouer le jeu de la société, quiconque refuse de se plier à ses préceptes marchands, à son marché du travail, sait à quoi s’en tenir : ce sera l’indignité du chômage, la misère, ou alors la « délinquance » et donc le risque de subir l’impitoyable réplique d’un Etat garant d’une certaine moralité. Vous avez si bien intériorisé notre Terreur que vous en êtes arrivés à confondre notre loi avec le bien – et à considérer que ce qui est illégal est forcément mal. Il ne saurait dès lors être question, pour un citoyen qui se veut respectable et vertueux, d’entrer dans l’illégalité. D’ailleurs, vous viendriez-t-il encore à l’idée d’expérimenter d’autres modes de vie, tant votre imaginaire a été profondément colonisé par nos valeurs – comment donc pourrions-nous nous passer de tout le confort que nous permet notre si glorieuse civilisation, n’est-ce pas ! Il n’y aurait rien de pire pour nous si, par exemple, vous vous mettiez à questionner l’utilité ou la nocivité de tel ou tel emploi, de tel ou tel secteur d’activité économique, si vous vous mettiez à mettre en cause la pertinence du salariat lui-même, et à y répondre par la désertion et le sabotage. Ce serait le crépuscule de notre ordre économique et social lui-même. Ce serait l’avènement d’une société vraiment libre – horreur ! Heureusement, nous faisons bien les choses.

Nous faisons bien les choses, mais la guerre que nous vous menons est encore loin d’être terminée. Bien que votre enthousiasme à vous soumettre, à vous ficher vous-mêmes et à vous laisser surveiller n’a jamais été aussi fort – merci téléphones portables, merci réseaux sociaux ! -, vous êtes encore bien trop indisciplinés, bien trop cachotiers à notre goût. Un pouvoir qui sait tout sur ses sujets est un pouvoir invulnérable. Notre guerre est loin d’être finie mais nous avons désormais l’appui d’une technologie aux ressources infinies, qui donneront bientôt à nos dispositifs de surveillance et de contrainte les moyens de notre invincibilité et de votre incarcération définitive. Bénie soit la technologie et son pouvoir de fascination qui vous empêche de voir le mal qu’elle s’apprête à vous faire. Bénis soient tous les techniciens de l’imposture et tous les imbéciles « antifascistes » qui vous persuadent que les menaces pour vos libertés sont partout ailleurs que là où elles sont réellement.

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